La pierre et le sabre
jamais !
— Je ne fais pas tout cela
pour le plaisir. Je ne puis m’en empêcher. J’aime Musashi !
— Je ne te vois pas de
quelque temps, et la première chose que j’apprends, c’est que tu te conduis
comme toutes les autres femmes !
— Mais ne comprends-tu donc
pas ?... Ah ! tant pis, n’en parlons plus. Un prêtre aussi
intelligent que toi ne comprendrait jamais les sentiments d’une femme !
— Je ne sais que répondre à
cela. C’est vrai, pourtant : les femmes me plongent dans la perplexité.
Otsū se détourna de lui en
disant :
— Allons, Jōtarō !
Sous les yeux de Takuan, tous deux
commencèrent à descendre une route latérale. Le moine en arriva à la triste
conclusion qu’il n’y avait plus rien à faire. Il rappela la jeune fille :
— Avant de t’en aller seule,
ne feras-tu pas tes adieux à Sekishūsai ?
— Je lui ferai mes adieux
dans mon cœur. Il sait que de toute façon, je n’ai jamais eu l’intention de
rester aussi longtemps chez lui.
— Réfléchis.
— Réfléchir à quoi ?
— Eh bien, la vie était
agréable dans les montagnes du Mimasaka, mais elle est agréable ici aussi. C’est
paisible, et la vie est simple. Au lieu de te lancer dans le monde ordinaire,
avec toutes ses misères et ses épreuves, j’aimerais te voir vivre à l’écart, en
paix, au milieu de ces montagnes et de ces ruisseaux, comme ces rossignols que
nous entendons chanter.
— Ha ! ha ! ha !
Grand merci, Takuan !
Takuan soupira en constatant son
impuissance devant cette jeune femme volontaire, si résolue à suivre
aveuglément la voie qu’elle s’était choisie.
— Tu peux rire, Otsū,
mais le chemin que tu prends est un chemin de ténèbres.
— De ténèbres ?
— Tu as été élevée dans un
temple. Tu devrais savoir que le chemin de ténèbres et de désir ne mène qu’à la
déception et au malheur... à la déception et au malheur, au-delà du salut.
— Depuis ma naissance, il n’y
a jamais eu pour moi de chemin de lumière.
— Pourtant, il existe, il
existe !
Mettant dans ce plaidoyer sa
dernière goutte d’énergie, Takuan rejoignit la jeune fille et lui prit la main.
Il voulait désespérément qu’elle le crût.
— ... J’en parlerai à Sekishūsai,
proposa-t-il. Je lui parlerai de ta vie et de ton bonheur. Tu peux trouver un
bon mari ici, à Koyagyū, avoir des enfants, mener une existence de femme.
Tu améliorerais le village. Cela contribuerait aussi à ton bonheur.
— Je sais bien que tu essaies
de me rendre service, mais...
— Fais-le ! Je t’en
supplie !
Tout en la tirant par la main, il
regarda Jōtarō et dit :
— ... Viens, toi aussi, mon
garçon !
Jōtarō secoua la tête d’un
air décidé :
— Pas moi. Je vais suivre mon
maître.
— Eh bien, fais comme tu
voudras, mais du moins retourne au château dire au revoir à Sekishūsai.
— Oh ! j’avais oublié !
haleta Jōtarō. J’ai laissé mon masque là-bas ; je vais le
chercher.
Et il se sauva à toutes jambes,
sans s’inquiéter des chemins de ténèbres et des chemins de lumière.
Mais Otsū se tenait immobile
à la croisée des chemins. Takuan se détendait, redevenant le vieil ami qu’elle
avait connu. Il la mit en garde contre les dangers qui guettaient la vie qu’elle
essayait de mener, et tenta de la convaincre qu’il existait d’autres moyens de
trouver le bonheur. Elle resta inflexible.
Bientôt, Jōtarō revint
en courant, le masque sur la figure. A sa vue, Takuan fut glacé d’horreur :
il sentait que c’était le visage futur d’Otsū, celui qu’il verrait lorsqu’elle
aurait souffert au cours de son long voyage sur le chemin de ténèbres.
— Et maintenant, je vais m’en
aller, dit Otsū en s’éloignant de lui.
Jōtarō, tirant sur la
manche de la jeune fille, renchérit :
— Oui, allons ! Ne
perdons pas de temps !
Takuan leva les yeux vers les
nuages blancs, en déplorant son échec :
— Je ne peux rien faire de
plus, dit-il. Le Bouddha lui-même désespérait de sauver les femmes.
— Au revoir, Takuan, dit Otsū.
Je m’incline ici devant Sekishūsai, mais voudrais-tu aussi le remercier
pour moi et lui faire mes adieux ?
— Ah ! même moi, je
commence à croire que les prêtres sont des fous. Où qu’ils aillent, ils ne
rencontrent que des gens qui se précipitent vers l’enfer.
Takuan leva les mains, les laissa
retomber, et dit avec une grande solennité :
— ... Otsū,
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