La pierre et le sabre
homme se tourna vers Tōji pour répondre avec
amabilité :
— Oui, elle est depuis
longtemps dans ma famille. Il s’agit d’une épée de guerre, mais j’ai l’intention
de trouver un bon armurier à Osaka pour la faire remonter de manière à la
porter à mon côté.
— Elle est trop longue pour
ça, non ?
— Oh ! je ne sais pas.
Elle ne fait que quatre-vingt-dix centimètres.
— C’est bien long.
Avec un sourire confiant, l’adolescent
répliqua :
— N’importe qui devrait
pouvoir manier une épée aussi longue.
— Oh ! on pourrait même
s’en servir si elle avait plus d’un mètre de long, dit Tōji d’un ton de
reproche. Mais seul un expert saurait la manier avec aisance. Je vois des
quantités d’hommes se pavaner avec d’énormes épées, ces temps-ci. Ils font de l’effet,
mais quand les choses tournent mal, ils prennent la fuite. Quel style avez-vous
étudié ?
A propos d’escrime, Tōji ne
pouvait cacher un sentiment de supériorité sur ce simple enfant. Le jeune homme
lança un regard interrogateur au visage content de soi de Tōji, et
répondit :
— Le style Tomita.
— Le style Tomita convient à
une épée plus courte que celle-là, dit Tōji, plein d’autorité.
— Que j’aie étudié le style
Tomita ne signifie pas que je doive employer une épée plus courte. Je n’aime
pas imiter. Mon professeur utilisait une épée plus courte ; j’ai donc
décidé de me servir d’une longue. Ça m’a fait renvoyer de l’école.
— Vous autres jeunes, vous
semblez être fiers de vous rebeller. Alors, qu’est-il arrivé ?
— J’ai quitté le village de Jōkyōji,
dans l’Echizen, et suis allé trouver Kanemaki Jisai. Il avait aussi rejeté le
style Tomita, puis élaboré le style Chūjō. Il m’a pris en sympathie,
accepté pour disciple, et après que j’ai eu étudié auprès de lui quatre ans, il
a dit que j’étais prêt à voler de mes propres ailes.
— Tous ces maîtres de la
campagne sont bien prompts à délivrer des certificats.
— Oh ! non, pas Jisai.
Il n’était pas comme ça. En réalité, le seul autre homme auquel il ait jamais
donné son certificat, c’était Itō Yagorō Ittōsai. Quand j’ai
décidé d’être le deuxième à obtenir un certificat officiel, j’y ai travaillé
très dur. Mais avant d’arriver au bout, j’ai soudain été rappelé chez moi parce
que ma mère se mourait.
— C’est où, chez vous ?
— A Iwakuni, dans la province
de Suō. Rentré chez moi, je me suis exercé chaque jour près du pont de
Kintai, à faucher des hirondelles en plein vol et à fendre des branches de
saule. De cette façon, j’ai mis au point des techniques à moi. Avant de mourir,
ma mère m’a donné cette épée en me disant d’en prendre grand soin car elle
avait été forgée par Nagamitsu.
— Nagamitsu ? Pas
possible ?
— Elle ne porte pas sa
signature sur la soie, mais elle a toujours passé pour être son œuvre. Au pays
d’où je viens, c’est une épée célèbre ; on la nomme « la Perche à
sécher ».
Bien que réticent tout à l’heure,
il était à présent intarissable sur des sujets qui lui plaisaient, et continua
de bavarder sans guère prêter attention aux réactions de son auditeur. De cette
attitude et du compte rendu de sa vie passée, il ressortait qu’il était une
plus forte personnalité que son goût vestimentaire ne l’eût donné à croire.
A un certain moment, l’adolescent
s’interrompit durant quelques instants. Son regard s’assombrit, devint pensif.
— ... Pendant que j’étais
dans la province de Suō, murmura-t-il, Jisai est tombé malade. Quand je l’ai
appris par Kusanagi Tenki, j’ai fondu en larmes. Tenki était à l’école
longtemps avant moi, et s’y trouvait encore au moment où le maître était sur
son lit de malade. Tenki, c’était son neveu, mais Jisai n’a pas même envisagé
de lui décerner un certificat. Au lieu de quoi, il lui a dit qu’il aimerait m’en
donner un, à moi, en même temps que son livre de méthodes secrètes. Non
seulement il voulait me les donner mais il avait espéré me voir pour me les
remettre en personne.
A ce souvenir, les yeux du jeune
homme se mouillèrent. Tōji n’avait pas une ombre de sympathie pour ce beau
jeune homme émotif, mais causer avec lui valait mieux que d’être seul à s’ennuyer.
— Je vois, dit-il en simulant
un vif intérêt. Et il est mort tandis que vous étiez
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