La pierre et le sabre
tous. Il n’est
pas mon ami. Je n’ai aucune raison de le protéger. Et s’il quitte Kyoto, vous
seuls devrez placarder sa lâcheté dans toute la ville.
— Ça n’est pas suffisant.
Nous ne partirons pas d’ici, ce soir, si vous ne nous garantissez que vous le
garderez en détention jusqu’au combat.
Kojirō fit rapidement
demi-tour. Il bomba le torse et s’approcha de Musashi qui jusque-là avait eu
les yeux fixés sur son dos. Leurs regards se croisèrent, comme ceux de deux
bêtes sauvages qui s’observent. Il y avait quelque chose de fatal dans l’affrontement
de leurs deux amours-propres juvéniles, une reconnaissance de la valeur de l’autre,
et peut-être un soupçon de frayeur.
— Musashi, consentez-vous à
la rencontre que je propose ?
— Oui.
— Bon.
— Toutefois, je ne souhaite
pas que vous vous en mêliez.
— Vous n’acceptez pas de vous
en remettre à ma garde ?
— Ce que cela sous-entend me
déplaît. Lors de mes combats avec Seijūrō et Denshichirō, je n’ai
pas commis la moindre lâcheté. Pourquoi leurs disciples me croient-ils capable
de fuir devant un défi de leur part ?
— Bien parlé, Musashi. Je ne
l’oublierai pas. Et maintenant, ma garantie mise à part, voudriez-vous fixer l’heure
et le lieu ?
— J’accepte l’heure et le
lieu qu’ils choisiront, quels qu’ils soient.
— Encore la réponse d’un
brave. Où serez-vous, d’ici à l’heure du combat ?
— Je n’ai point d’adresse.
— Si vos adversaires ignorent
où vous êtes, comment peuvent-ils vous envoyer un défi écrit ?
— Décidez l’heure et le lieu
maintenant. J’y serai.
Kojirō approuva de la tête.
Après s’être consulté avec Jūrōzaemon et quelques autres, il revint
vers Musashi et lui dit :
— Ils fixent l’heure à cinq
heures du matin, après-demain.
— J’accepte.
— L’endroit sera le pin
parasol au pied de la colline d’Ichijōji, sur la route du mont Hiei. Le
représentant nominal de la maison de Yoshioka sera Genjirō, le fils aîné
de Yoshioka Genzaemon, oncle de Seijūrō et Denshichirō. Genjirō
étant le nouveau chef de la maison de Yoshioka, le combat aura lieu sous son
nom. Mais il est encore un enfant ; aussi est-il stipulé qu’un certain
nombre de disciples de l’école Yoshioka l’accompagneront à titre de seconds. Je
vous dis cela pour prévenir tout malentendu.
Une fois les promesses
protocolairement échangées, Kojirō frappa à la porte de la baraque. La
porte s’ouvrit avec circonspection, et les ouvriers de la scierie risquèrent un
œil au-dehors.
— Il doit y avoir ici du bois
qui ne vous sert pas, dit Kojirō d’un ton bourru. Je veux apposer un
écriteau. Trouvez-moi une planche adéquate, et clouez-la à un poteau d’environ
un mètre quatre-vingts.
Tandis que l’on rabotait la
planche, Kojirō envoya un homme chercher un pinceau et de l’encre. Ces
matériaux rassemblés, il inscrivit d’une belle écriture l’heure, le lieu et d’autres
détails. Comme précédemment, la notification était rendue publique, ce qui
représentait une meilleure garantie qu’un échange privé de serments. Ne pas
tenir cette promesse équivaudrait à se ridiculiser publiquement.
Musashi regarda les hommes de l’école
Yoshioka dresser la pancarte au carrefour le plus fréquenté du voisinage. Il se
détourna avec nonchalance et gagna rapidement le manège de Yanagi.
Tout seul dans le noir, Jōtarō
était nerveux. Ses yeux et ses oreilles avaient beau être aux aguets, il ne
voyait de temps en temps que la lumière d’un palanquin, et n’entendait que l’écho
fugace de chansons chantées par des hommes qui rentraient chez eux. Redoutant
que Musashi n’eût été blessé ou même tué, il finit par perdre patience et se
mit à courir en direction de Yanagimachi.
Il n’avait pas fait cent mètres
que la voix de Musashi lui parvint à travers les ténèbres :
— Hé là ! Qu’est-ce qui
t’arrive ?
— Ah ! vous voilà !
s’exclama l’enfant avec soulagement. Vous étiez si long que j’ai décidé d’aller
jeter un coup d’œil.
— Ça n’était pas très malin.
Nous risquions de nous manquer.
— Il y avait beaucoup d’hommes
de l’école Yoshioka devant la porte ?
— Hum, pas mal.
— Ils n’ont pas essayé de
vous attraper ? dit Jōtarō en levant des yeux ironiques vers le
visage de son maître. Il n’est rien arrivé du tout ?
— Exact.
— Où
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