La pierre et le sabre
de
Masushi ?
— Euh... oui.
— Et tu as décidé brusquement
d’aller à Ichijōji ?
Elle ne répondit pas.
— ... Ah ! j’oubliais !
s’exclama-t-il en se remémorant la raison qui l’avait poussé à descendre dans
le ravin. C’est toi qui as crié, il y a quelques minutes ?
Elle fit « oui » de la
tête, puis rapidement jeta à la dérobée un coup d’œil effrayé sur la pente,
au-dessus d’eux. Rassurée sur le fait qu’il n’y eût rien en cet endroit, elle
raconta à Matahachi comment elle avait traversé le cours d’eau et grimpait une
pente à pic lorsque, levant les yeux, elle vit un fantôme d’un aspect incroyablement
redoutable, assis sur une haute pierre, en train de contempler la lune. Il
avait le corps d’un nain mais son visage, celui d’une femme, était d’une
couleur inquiétante, plus blanche que la blancheur, avec une bouche qui
remontait en balafre d’un côté vers l’oreille. Grotesque, il semblait rire d’elle,
et l’avait épouvantée. Quand elle reprit ses esprits, elle était retombée dans
le ravin.
Cette histoire avait beau paraître
absurde, elle la racontait avec un sérieux total. Matahachi tâcha d’écouter
avec politesse, mais fut bientôt vaincu par le rire.
— Ha ! ha ! Tu
inventes tout ça ! Tu as dû effrayer le fantôme. Voyons ! Tu rôdais
sur les champs de bataille et n’attendais pas même le départ de l’âme des morts
pour commencer à détrousser les cadavres.
— Je n’étais qu’une enfant,
alors. Je n’en savais pas assez pour avoir peur.
— Tu n’étais pas jeune à ce
point... Si je comprends bien, tu languis toujours après Musashi.
— Non... Il était mon premier
amour, mais...
— Alors, pourquoi vas-tu à Ichijōji ?
— En vérité, je ne le sais
pas moi-même. Je me suis seulement dit que si j’y allais, je le verrais
peut-être.
— Tu perds ton temps,
répondit-il avec force, puis il lui déclara que Musashi n’avait pas une chance
sur mille de sortir vivant du combat.
Après ce qui lui était arrivé aux
mains de Seijūrō et de Kojirō, penser à Musashi ne pouvait plus
évoquer l’image de la félicité qu’elle avait autrefois imaginé de partager avec
lui. N’étant pas morte, n’ayant pas découvert une existence qui la séduisît,
elle se sentait comme une âme dans les limbes... une oie séparée du troupeau,
et perdue.
Le regard fixé sur le profil de la
jeune fille, Matahachi était frappé par la similitude entre sa situation à elle
et la sienne à lui. Tous deux, coupés de leurs amarres, allaient à la dérive.
Quelque chose, dans le visage poudré d’Akemi, donnait à penser qu’elle
cherchait un compagnon. Il l’entoura de son bras, frotta sa joue contre la
sienne et murmura :
— ... Akemi, allons à Edo.
— A... à Edo ? tu
plaisantes, dit-elle, mais cette idée la fit sortir de sa stupeur.
Resserrant son étreinte autour de
ses épaules, il reprit :
— Il n’est pas nécessaire que
ce soit Edo, mais tout le monde assure que c’est la ville de l’avenir.
Maintenant, Osaka et Kyoto sont vieilles. C’est peut-être pourquoi le Shōgun
bâtit une nouvelle capitale dans l’Est. Si nous y allions maintenant, il y
aurait encore des tas de bonnes places, même pour un couple d’oies égarées
comme toi et moi. Allons, Akemi, dis que tu vas y aller.
Encouragé par la lueur croissante
d’intérêt qu’il distinguait sur le visage de la jeune fille, il poursuivit avec
un surcroît de ferveur :
— ... Nous pourrions nous
amuser, Akemi. Nous pourrions faire ce que nous voulons. Sans cela, à quoi bon
vivre ? Nous sommes jeunes. Nous devons apprendre à être audacieux et
habiles. Nous n’arriverons à rien ni l’un ni l’autre en nous conduisant comme
des faibles. Plus on essaie d’être bon, honnête et consciencieux, plus le sort
vous lance des coups de pied dans la mâchoire et se moque de vous. En fin de
compte, on pleure toutes les larmes de son corps, et à quoi ça vous avance-t-il ?...
Ecoute : ça a toujours été comme ça pour toi, hein ? Tu n’as fait que
te laisser dévorer par ta mère et par des hommes brutaux. A partir de
maintenant, il faut que tu sois celle qui mange, au lieu de celle qui se fait
dévorer.
Elle commençait à être ébranlée.
La maison de thé de sa mère avait été une cage dont tous deux s’étaient enfuis.
Depuis lors, le monde ne lui avait montré que cruauté. Elle sentait que
Matahachi était
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