La pierre et le sabre
sur le Nord-Est était
magnifique. Le lac Biwa s’étendait, calme, au-dessous d’eux, le mont Ibuki se
dressait juste au-delà, et les pics d’Echizen s’élevaient au loin.
— ... Arrêtons-nous un peu,
dit-il. Vous irez mieux si vous descendez vous étendre quelques minutes.
Il attacha l’animal à un arbre,
prit Osugi dans ses bras et la déposa à terre. La face contre le sol, la
vieille femme repoussa les mains du jeune homme et laissa échapper un
gémissement. Son visage brûlait de fièvre ; elle était échevelée.
— ... Vous ne voudriez pas un
peu d’eau ? demanda une fois de plus Musashi en lui tapotant le dos. Vous
devriez aussi manger quelque chose.
Elle secoua la tête avec
obstination.
— ... Depuis cette nuit, vous
n’avez pas bu une goutte d’eau, dit-il d’un ton suppliant. Si vous continuez
comme ça, vous ne réussirez qu’à vous rendre plus malade. Je voudrais vous procurer
des remèdes, mais il n’y a pas de maison dans les parages. Ecoutez :
pourquoi ne mangeriez-vous pas la moitié de mon déjeuner ?
— Quelle horreur !
— Hein ?
— J’aimerais mieux mourir
dans un champ et être dévorée par les oiseaux. Jamais je ne m’abaisserai au
point d’accepter d’un ennemi de la nourriture !
Elle secoua de son dos la main du
jeune homme et s’agrippa à une touffe d’herbe.
Tout en se demandant si elle
viendrait jamais à bout du malentendu initial, il la traitait avec autant de
tendresse qu’il eût traité sa propre mère ; il tâchait patiemment de l’apaiser
chaque fois qu’elle lui lançait un coup de griffe.
— Voyons, grand-mère, vous
savez bien que vous ne voulez pas mourir. Vous devez vivre. Vous ne voulez donc
pas voir Matahachi réussir dans la vie ?
Elle montra les crocs et gronda :
— Est-ce que ça te regarde ?
Un de ces jours, Matahachi réussira sans ton aide, merci.
— J’en suis convaincu. Mais
vous devez guérir de manière à pouvoir l’encourager vous-même.
— Espèce d’hypocrite !
cria la vieille. Tu perds ton temps si tu crois pouvoir me flatter au point de
me faire oublier combien je te hais.
Se rendant compte que tout ce qu’il
dirait serait pris en mauvaise part, Musashi se leva et s’éloigna. Il choisit
un endroit derrière un rocher, et se mit à manger son déjeuner de boulettes de
riz fourrées d’un beurre de fèves sombre et douceâtre, chacune enveloppée dans
des feuilles de chêne. Il en laissa la moitié.
Entendant des voix, il regarda
derrière le rocher et vit une paysanne en train de causer avec Osugi. Elle
portait le hakama des femmes d’Ohara, et ses cheveux lui tombaient sur
les épaules. D’une voix de stentor, elle proclamait :
— J’ai chez moi cette malade.
Elle va mieux maintenant, mais elle se remettrait plus vite encore si je
pouvais lui donner du lait. Est-ce que je peux traire la vache ?
Osugi leva sur la femme un regard
inquisiteur.
— A l’endroit d’où je viens,
nous n’avons pas beaucoup de vaches. Vous êtes vraiment capable de la traire ?
Toutes deux échangèrent encore
quelques mots tandis que la femme s’accroupissait et commençait à faire gicler
du lait dans une jarre à saké. Quand la jarre fut pleine, la femme se leva, la
serrant entre ses bras, et dit :
— Merci. Maintenant, il faut
que je me sauve.
— Attendez ! cria Osugi
de sa voix de crécelle.
Elle tendit les bras et jeta un
coup d’œil à la ronde afin de s’assurer que Musashi ne l’observait pas.
— ... Donnez-moi d’abord un
peu de lait. Une ou deux gorgées me suffiront.
La femme regarda, stupéfaite,
Osugi porter la jarre à ses lèvres, fermer les yeux, et avaler gloutonnement ;
le lait lui ruisselait du menton. Quand elle eut terminé, Osugi frissonna puis
grimaça comme si elle allait vomir.
— Que c’est mauvais !
pleurnicha-t-elle. Mais peut-être que ça va me faire du bien. Pourtant, c’est
affreux ; plus mauvais qu’une drogue.
— Il y a quelque chose qui ne
va pas ? Vous êtes malade ?
— Rien de grave. Un coup de
froid et un peu de fièvre.
Elle se leva brusquement comme si
tous ses maux avaient disparu, et, s’étant derechef assurée que Musashi ne
regardait pas, se rapprocha de la femme pour lui demander à voix basse :
— ... Si je descends tout
droit cette route, où cela me mènera-t-il ?
— Juste au-dessus du Miidera.
— C’est bien dans la province
d’Otsu ? Est-ce que je pourrais prendre un chemin
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