La pierre et le sabre
son atterrissage à se
rompre les os, gisait au sol et gémissait de douleur.
— ... Comment, grand-mère, c’est
vous ! s’exclama-t-il, surpris que son assaillant ne fût ni un homme de
Yoshioka ni l’un des prêtres en colère.
Il l’entoura de son bras pour l’aider
à se relever.
— ... Maintenant, je commence
à comprendre, dit-il. C’est vous qui avez dit aux prêtres des tas de
méchancetés sur moi, hein ? Et comme cette histoire émanait d’une vieille
dame courageuse et comme il faut, ils l’ont crue de A jusqu’à Z, je suppose.
— Oh ! que j’ai mal au
dos !
Osugi ne confirma ni n’infirma son
accusation. Elle se tortillait bien un peu, mais il lui manquait la force d’opposer
une grande résistance. Elle dit faiblement :
— ... Musashi, au point où
nous en sommes, il est inutile de s’inquiéter du bien et du mal. La maison de
Hon’iden a été malchanceuse à la guerre ; aussi, contente-toi de me couper
la tête maintenant.
Il paraissait peu vraisemblable à
Musashi qu’il ne s’agît là que de théâtre. Les paroles d’Osugi semblaient les
paroles sincères d’une femme qui était allée aussi loin qu’elle le pouvait, et
voulait s’arrêter là.
— Vous souffrez ?
demanda-t-il en refusant de la prendre au sérieux. Où donc avez-vous mal ?
Vous pouvez rester ici cette nuit ; aussi, il n’y a pas d’inquiétude à
avoir.
Il la souleva dans ses bras, la
porta à l’intérieur et l’étendit sur sa couche. Assis à son chevet, il la
soigna toute la nuit.
Quand le jour parut, Seinen
apporta le déjeuner qu’avait demandé Musashi, ainsi qu’un message du
grand-prêtre qui, tout en s’excusant de son impolitesse, pressait Musashi de
partir le plus tôt possible.
Musashi envoya un mot expliquant
qu’il avait maintenant sur les bras une vieille femme malade. Le prêtre, qui ne
voulait pas d’Osugi au temple, fit une proposition. Il semblait qu’un marchand
de la ville d’Otsu, venu au temple avec une vache, avait laissé l’animal aux
soins du grand-prêtre cependant qu’il vaquait à d’autres affaires. Le prêtre
offrit à Musashi l’usage de l’animal, disant qu’il pourrait descendre la femme
jusqu’au pied de la montagne. A Otsu, l’on pourrait laisser la vache sur le
quai ou à l’une des maisons de gros du voisinage.
Musashi accepta cette offre avec
reconnaissance.
Boire du lait
La route qui descendait du mont
Hiei aboutissait dans la province d’Omi, en un point situé juste au-delà du Miidera.
Musashi menait la vache par une
corde. Regardant par-dessus son épaule, il dit gentiment :
— Si vous le voulez, nous
pouvons arrêter pour nous reposer. Aucun de nous deux n’est pressé.
Mais du moins, se disait-il, ils
étaient en route. Osugi, qui n’avait pas l’habitude des vaches, avait d’abord
catégoriquement refusé de monter sur l’animal. Pour la convaincre, Musashi
avait dû faire appel à toute son ingéniosité ; l’argument qui l’avait
emporté avait été qu’elle ne pouvait rester indéfiniment chez des prêtres, dans
un bastion du célibat.
La face contre le col de la vache,
Osugi gémissait de douleur et tâchait de se redresser. Chaque fois que Musashi
lui témoignait de la sollicitude, elle se remémorait sa haine et lui exprimait
silencieusement son mépris d’être soignée par son mortel ennemi.
Il avait beau fort bien savoir qu’elle
ne vivait que pour se venger de lui, il ne parvenait pas à la considérer comme
une véritable ennemie. Personne, pas même des adversaires beaucoup plus forts
qu’elle, ne lui avait jamais causé autant d’ennuis. Sa ruse l’avait amené dans
son propre village au bord du désastre ; à cause d’elle, il s’était fait
tourner en dérision et couvrir de honte à Kiyomizudera ; maintes et
maintes fois, elle lui avait mis des bâtons dans les roues. De temps à autre,
comme la veille au soir, il l’avait maudite et avait failli céder au violent désir
de la couper en deux.
Pourtant, il ne pouvait se
résoudre à porter la main sur elle, surtout maintenant qu’elle était malade et
privée de sa verve habituelle. Bizarrement, l’inaction de sa langue de vipère
le déprimait, et il était impatient de la voir se rétablir, même si cela devait
lui apporter d’autres ennuis.
— ... Ce genre de chevauchée
doit être bien inconfortable, dit-il. Encore un peu de patience. En arrivant à
Otsu, je trouverai quelque chose.
La vue
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