La pique du jour
devenait clair après tout
ce qui m’avait été dit sur les jésuites et leurs plus qu’étroites attaches avec
Philippe II que le roi d’Espagne, ayant eu ses armées répétitivement
battues par Henri à chaque fois qu’elles avaient attenté de l’affronter, ne pourrait
plus de présent se vouer, pour avoir raison de lui, qu’au démon de
l’assassination. Mais M. de La Surie me détourna de ce voyage,
me représentant que le roi courait peu de périls dans son camp, entouré d’une
armée puissante et de capitaines vigilants et qu’il serait temps de le mettre
sur ses gardes dès son retour dedans Paris. Trouvant quelque raison à son dire,
je me laissai à la parfin persuader. Toutefois, comme mon Miroul après cela me
trouvait coi, songeard et marmiteux, il me dit :
— Moussu, meshui n’est pas, que je sache, jour de deuil
et d’affliction. De présent, le roi est sain et gaillard et j’ai ouï dire que
dans Laon, où on célébrait sa victoire, il s’ébaudit à la chasse, à la paume, à
courre la bague, à coqueliquer sa belle Gabrielle. Moussu, nous n’allons pas
larmoyer sur lui, qui rit aux anges, ni noyer sa remembrance sous nos soupirs,
alors qu’il est pour lors si vif et si coquineau. Moussu, si vous me permettez
de vous bailler mon avisé avis…
— Baille, Miroul, baille !
— Pourquoi n’iriez-vous point, notre repue étant
achevée, là où vous êtes accoutumé d’aller toutes les après-midi, et dont vous
revenez à chaque fois si joyeux et si rebiscoulé que c’est plaisir de voir
votre bonne mine. Jetez au diable, si m’en croyez, le tracasseux souci du
présent et allez vous en laver l’âme à la claire fontaine où vous aimez à vous
désaltérer.
— Voilà, mon Miroul, qui est délicatement dit, et du
bon du cœur. Je suivrai ton conseil.
Hélas, cette visite, bien loin de décroître mes soucis, ne fit
que les multiplier. Car à peine eussé-je mis la clef (que Catherine
de Guise m’avait confiée) dans la petite porte verte (laquelle donnait sur
un jardin qui occupait l’arrière de la maison et me permettait d’entrer
discrètement dans l’hôtel de Guise) que je m’aperçus, à ma très grande
béance, que si ladite clef pénétrait à suffisance dans la serrure, en revanche
elle y restait bloquée sans manœuvrer le moindrement le pêne, quelque branle
que je lui donnasse, et quelque force que j’y misse, tant est que de guerre
lasse et la sueur couvrant mon front (tant de mon émeuvement que de mes
efforts), je retirai la clé, et approchant mon œil de la serrure, discernai
clairement, à l’éclat neuf du métal et à de certaines fraîches éraillures du
bois, quelle avait été changée. Mon cœur me toqua alors si fort dans le
poitrail, et mes gambes sous moi trémulèrent si convulsivement que je crus
choir à terre et m’appuyai des deux mains contre le linteau de la porte,
tâchant de reprendre le commandement de mon corps et de mes esprits, lesquels
se trouvaient eux aussi emportés dans un tourbillon sans fin pour ce que je
croyais et décroyais dans la même seconde et le témoignage de mes sens et la
signification incrédiblement brutale et cruelle de ce changement de serrure.
Dans l’égarement où j’étais, j’enfonçai de nouveau ma clef, et exagité par une
soudaine rage, l’y secouai avec une telle force qu’elle se brisa net dedans, le
panneton demeurant prisonnier et la tige me restant dans la main.
Je me trouvai si sottard et si penaud avec ce bout de clef,
de toutes manières sans usance, au bout de mes doigts (lesquels étaient rouges,
navrés et dolents de mes insensées saccades) que, le jetant dans le ruisseau et
la folie de mon déportement me frappant alors avec beaucoup de force, la
vergogne que j’en éprouvai me remit alors en quelque assiette, d’autant que je
me découvris en outre, fort envisagé et dévisagé par ces curieux et badauds qui
ne manquent jamais dans les rues de Paris et qui, s’arrêtant, s’étaient fort
ébaudis de mes infructueux efforts. Je recomposai mon visage du mieux que je
pus et regagnai mon logis, branlant quelque peu en mes pas et démarches, et
aussi hors de souffle que si j’eusse couru une heure par monts et vaux.
— Moussu ! dit Miroul, dès qu’il me vit réapparaître
si peu de temps après que j’eus quitté le logis, vous voilà pâle comme
linceul ! Pis : comme le mort lui-même ! Par tous les diables,
que s’est-il donc passé ? Moussu,
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