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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’une
intention charitable et notre bonne foi en cette affaire ne saurait être récusée.
    — Aussi ne la récusé-je point, dit Lugoli avec sa
froidureuse et méticuleuse politesse. Elle a été surprise. Mais dès lors que
vous apprenez de ma bouche l’origine indubitable du rubis, vous ne pouvez le
garder par-devers vous sans tomber sous le coup de l’Édit de François I er du 29 janvier 1534 touchant les réceptateurs et recelateurs, lesquels
seront, selon l’Édit, frappés des mêmes peines que les larrons et voleurs,
s’ils se refusent à la restitution des biens volés.
    Le silence qui suivit ces paroles – d’autant plus
menaçantes qu’elles étaient articulées d’une voix plus mesurée – me parut
des plus lourds. Et à quelque involontaire contraction qui exagitait
l’immobilité des religieux, je vis bien qu’ils étaient sur le chemin de perdre
le sentiment de leur immunité, et d’autant que l’annonce d’un second procès
touchant le célèbre rubis ne serait pas sans influencer défavorablement l’issue
du proche huis clos.
    — Monsieur le Prévôt, dit le père Guéret, sa belle et
noble tête penchée un peu sur le côté, si bien je me ramentois, notre compagnie
a payé ce rubis cinq mille écus, et il me paraîtrait équitable que, l’ayant
acquis de bonne foi, nous soyons, par M. d’O, remboursés sur les finances
de Sa Majesté de ce débours, dès l’instant que nous nous dessaisirions de
la pierre.
    — Mon Révérend Père, dit Lugoli sans se départir de sa
politesse, celui de votre compagnie qui fit ce barguin avec la veuve que vous
avez dite fut bien naïf de ne pas s’enquérir plus sérieusement de l’origine de ce
rubis, le plus gros qu’on ait jamais vu, mais en revanche, il se montra fort
habile en le payant le quart de sa valeur. Vous pâtissez meshui et de cette
simplicité et de cette adresse, l’une et l’autre excessives. Si M. d’O
consent à vous rembourser vos débours, c’est affaire à lui. C’est affaire aussi
à Sa Majesté, qui se fera tirer l’oreille pour racheter son bien. Mais
quoi que l’un ou l’autre ultérieurement décide, ce rubis doit m’être dans
l’instant remis.
    Ces paroles du prévôt, comme toutes celles qui les avaient
précédées, produisirent le même effet : le silence. Et rien, à y réfléchir
plus outre, n’était plus impressionnant que l’accoisement obstiné de cette
trentaine d’hommes qui, le nez sur leur frugale écuelle, tendaient le dos sous
l’orage, assurés qu’ils étaient qu’il passerait, et que leurs passagers échecs
ne faisaient que paver la voie du triomphe futur de leur cause, lequel était
certain, puisqu’ils servaient Dieu. Mesuré à cette aune, rien ne comptait
vraiment, ni le martyre de leurs pères aux Indes, ni le supplice du jésuite
Ballard à Londres ni l’exil du jésuite Varade – ni même la perte de ce
rubis, bien petite addition aux immenses richesses qu’ils avaient amassées, non
certes pour leur personnelle usance, leur vie étant si dénudée, mais pour
servir à l’accomplissement de leur planétal dessein : le raclement de
toute hérésie dans le monde, qu’elle fût païenne ou protestante.
    Dans ce silence il m’apparut alors à l’évidence que le père
Guéret était le capitaine de ces soldats du Christ, pour ce que dans leur
silence, leurs yeux, fixés obstinément sur leurs écuelles, glissaient quand et
quand vers sa face à la dérobée, comme pour attendre de son habileté un dernier
recours. En quoi, ils ne furent pas déçus.
    — Monsieur le Prévôt, dit le père Guéret, sa tête
penchée sur le côté et parlant d’une voix douce, notre communauté ne peut
décider de la cession d’un de ses biens sans qu’il en soit délibéré et débattu
par l’ensemble de ses membres. Or nos pères ne sont pas tous présents, tant
s’en faut. D’aucuns sont en mission. D’autres prêchent dans les provinces.
D’autres enfin demeurent dans notre maison des champs. Nous devons donc
commencer par les assembler, ce qui prendra bien quinze jours.
    Et dans quinze Jours, m’apensai-je, prodigieusement ébaudi
par l’astuce de cet atermoiement, ou bien le parlement aura condamné les
jésuites et ils auront pris le chemin de l’exil – avec le rubis – ou
bien le parlement les aura faits blancs comme neige, et le rubis se sera
dissipé en fumée dans le brouillard de leur innocence.
    Je vis à une petite lueur dans l’œil de

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