La pique du jour
Lugoli qu’il avait
parfaitement entendu le qu’est-ce et le pourquoi de ce délaiement et aussi que
sa patience était au bout de sa chaîne, et que celle-là allait rompre.
— Mon Révérend Père, dit-il d’une voix plus décisoire
et plus rude, si vous avez besoin d’une assemblée de tous les vôtres pour la
restitution – je dis bien la restitution, et non la cession – d’un
bien appartenant à la Couronne, je vais vous y aider en vous serrant sur l’heure,
tous et un chacun à la Bastille. Après quoi je saurai bien rameuter vos pères
dispersés dans les provinces et les mettre avec vous afin que de vous permettre
de tenir votre assemblée.
— Monsieur le Prévôt, dit alors le père Guéret comme
indigné, vous nous tyrannisez !
— Nenni, nenni, mon Révérend Père, dit Lugoli avec un
salut, je remplis les devoirs de ma charge et croyez bien qu’en cette occasion,
ils me mettent au désespoir.
Toutefois, ce sentiment n’apparut pas sur sa face, quand le
père Guéret ayant fait un signe à Guignard, celui-ci quitta la pièce et revint
une minute plus tard portant un petit sac de jute, grossier assez, fermé par
une aiguillette. Lugoli l’ouvrit, y plongea la main, et en retira le rubis
qu’il tint à la lumière entre le pouce et l’index et qui me parut, en effet,
d’une belle couleur cramoisie et d’une émerveillable grosseur. Toutefois,
Lugoli ne s’attarda pas à cette contemplation, mais comme à l’accoutumée, bref,
vif et expéditif, il dit aux jésuites avec un petit salut :
— Mes Révérends Pères, le roi sera content de vous.
À quoi, sans rien répondre ils baillèrent le nez, la crête
fort rabattue et la mine excessivement chagrine, comme si ce rubis emportait
dans ses transparentes facettes tout le sang de leur cœur.
Le portier délié et une fois hors, nous courûmes jusqu’au
Pont au Change où Lugoli, tirant le joaillier à part, lui mit le rubis en main
pour qu’il acertainât que c’était bien le bon.
— Ha ! Monsieur le Prévôt ! dit l’homme en le
lui rendant avec regret, cette pierre est inimitable, et pour moi, ajouta-t-il
avec un sourire, je l’eusse payée…
— Rubis sur l’ongle, dit Lugoli en riant.
— Mon cher Lugoli, dis-je dès que nous fûmes hors, à
qui allez-vous remettre ce joyau en l’absence du roi ?
— C’est bien là le point qui me poigne, dit Lugoli, car
je vous avouerais que de le sentir dans mon pourpoint me brûle la poitrine et
que j’aspire au plus vite à m’en défaire. À qui opinez-vous que je le doive
confier ?
— Je ne sais, dis-je en cheminant à son côté et ayant
quelque peine à le suivre, tant il hâtait le pas. La logique voudrait que ce
soit à M. d’O, puisqu’il a la charge des finances du roi.
— M. d’O, dit Lugoli avec une grimace, pâtit jà de
sa vessie. Je ne voudrais pas qu’il souffre, en plus, de la pierre…
À quoi nous rîmes.
— Et vous n’ignorez pas, poursuivit-il, que beaucoup
entre dans les poches de M. d’O, mais que bien peu en ressort pour le
service du roi.
— Eh bien ! dis-je, riant toujours. Que
pensez-vous du chancelier Cheverny ? On le dit honnête homme.
— Il l’est, mais il est aussi l’amant de la tante de
Gabrielle.
— Quel est le mal ?
— Aucun, mais cuidez-vous qu’il pourra cacher à sa
maîtresse qu’il est en possession du plus gros rubis du monde ? Et
cuidez-vous que ladite maîtresse ne le dira pas à sa nièce Gabrielle ? Et
cuidez-vous que la belle Gabrielle, pour le posséder, n’ira pas faire, jour et
nuit – surtout la nuit – le siège du roi ? Vramy ! Le siège
de Laon ne sera plus que gausserie en comparaison ! Or, Siorac, pour vous
parler à la franche marguerite, je n’ai pas arraché ce joyau aux soutanes des
jésuites pour qu’il aille orner le tétin d’une favorite.
— Tant beau il est.
— De quoi parlez-vous ? du rubis ou du
tétin ?
— Des deux.
— Voire ! Qui sait comme se tient un tétin, quand
on le dérobe de sa basquine ?
— Lugoli, dis-je, vous êtes de gaillarde humeur. Loin
de vous brûler le poitrail, je croirais que le rubis vous le chauffe.
— Il me chauffe et il me brûle ! Tudieu ! En
quelles mains le confier, avant que le roi retourne en sa capitale ?
CHAPITRE VII
Pierre de Lugoli confia le rubis de la Couronne au président
du parlement, Augustin de Thou, dont on pouvait être assuré qu’un dépôt placé
en ses mains ne
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