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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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leurs terres et au milieu de leurs rustres, au lieu d’être de
ces hauts seigneurs qui se mettent leurs blés et leurs bois en satin sur le dos
et vont paonner à la Cour, abandonnant à leurs intendants chiches-faces le soin
de tondre leurs laboureurs, le plus gros de cette picorée n’allant pas dans la
poche du maître, comme bien l’on sait.
    Je demeurai en ma seigneurie du Chêne Rogneux jusqu’au
7 septembre, occupé à mettre de l’ordre dans mon petit royaume, à
m’ébattre en mes joies familiales, et à goûter le frais de l’été loin de la
puante Paris. Mais le 7, la calamiteuse nouvelle nous parvint qu’il s’était
trouvé une majorité dans ce parlement de mierda pour voter la surséance dans le
procès des jésuites. Autant dire qu’on avait pendu cette affaire au croc pour
n’y jamais plus toucher ! Je fus tant marri de cette inique et périlleuse
décision par laquelle il me sembla que le roi perdait beaucoup plus que toutes
les villes qu’il avait gagnées par la chute de Laon, qu’en ayant conféré avec
M. de La Surie tous deux, la rage nous bouillant au cœur de
cette épouvantable écorne, nous résolûmes de retourner incontinent en Paris.
Non qu’il y eût à ce retour rien d’urgent, la défaite des vrais Français étant
consommée par ce ramassis de Français espagnolisés et jésuitisés, qui au
parlement avaient profité du silence de Sa Majesté pour favoriser les
débris de la Ligue, mais dans le sentiment du présent malheur et l’appréhension
de l’avenir, nous désirions nous rapprocher du centre des choses.
    Que me pardonne ma belle lectrice de parler ici très à la
fureur et sans ma coutumière courtoisie et modération, mais je retrouve en
écrivant ces lignes le courroux et le désespoir qui furent miens à ouïr que le
parlement s’était refusé à bouter hors de France cette boutique
d’assassins ! Ha ! belle lectrice, derechef, pardonnez-moi, mais après
tant d’années écoulées, j’en pleure encore, les ongles enfoncés dans mes
paumes !
    J’étais en Paris depuis deux jours quand, à la nuitée,
Pissebœuf me vint trouver pour me dire qu’un guillaume, le nez très bouché dans
son manteau (à ce qu’il avait pu voir à travers le judas) venait de toquer à
l’huis, quérant de parler à ma personne et à nul autre. Là-dessus, craignant
quelque embûche, j’y allai moi-même, et me tenant dans l’angle du judas afin
qu’un coup de pistolet ne pût m’atteindre, je dis au gautier de se découvrir
quelque peu afin qu’à la lueur de la lanterne que tenait Pissebœuf je pusse
voir qui il était. Ce qu’il fit, dès qu’il eut ouï ma voix, et son manteau
retombé révéla à la lumière dansante de la lanterne la bonne face ronde et
franche du Rémois Rousselet, le lieutenant du peuple.
    Je fus tant aise de le revoir après les traverses que nous
avions connues ensemble à Reims, que le faisant passer tout de gob par la porte
piétonnière, je lui donnai une forte brassée et, le prenant à l’épaule,
l’emmenai en la grand’salle de mon logis, devant qu’il parlât, et le voyant
fort décomposé, je lui fis servir une collation de fromage et de jambon sur
laquelle, à dire le vrai, il se jeta comme loup dévorant, ayant galopé ces deux
ou trois jours écoulés sans presque manger ni dormir afin que d’advenir à temps
à Paris.
    — Ha ! Monsieur le Marquis ! dit-il, j’ai
vergogne à m’empiffrer à grande gueulée comme je fais, avant que de vous dire
les choses d’immense conséquence que j’ai à vous révéler touchant Reims et le
service du roi, mais il faut bien nourrir la pauvre bête de la provende que je
dois à vos bontés, si je veux être suffisant à mettre une idée devant l’autre.
Car à dire le vrai, j’ai les membres rompus et la tête vide.
    — Mangez, mangez, mon ami, dis-je en souriant et dès
que vous aurez repris quelque nerf, je vous oirai à doubles oreilles.
    Et ma fé ! Je ne vis jamais gautier plus gaillard à
gloutir que ce Rousselet, hormis, s’il vous en ramentoit, le bon Poussevent,
quand nous eûmes capturé dans la forêt de Laon les chariots des Espagnols.
La Surie et moi ne laissions pas de nous ébaudir des énormes morcels qu’il
enfournait dans sa large bouche, lesquels il arrosait d’un flacon de vin de
Cahors que Franz lui avait baillé et qui bientôt fut défunt de son contenu.
Ledit Franz mettant plus de temps à découper le jambon que Rousselet ne mettait
à

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