La pique du jour
confessant…
Je pris ce Livre de Vie (qui eût dû s’appeler le
livre des vies, tant il y en avait là, en condensé, et toutes crues, et toutes
pantelantes, parfois infâmes, et n’en lus que deux pages, tant je fus effrayé
par ce que j’y apprenais, et horrifié plus encore par l’usance qu’un prêtre
sans conscience pouvait faire des révélations qu’il devait aux scrupules de ses
pénitents. Je me défendis d’aller plus outre dans ma lecture, ne voulant pas, à
mon tour, violer des secrets qui n’étaient dus qu’à Dieu, et d’autant que
prénoms et initiales s’encontraient fort transparents pour qui, comme moi,
vivait à la Cour. Et m’apensant tout soudain que ma Catherine devait figurer en
plein milieu de cette boue, laquelle pourrait sur elle rejaillir, si ledit
livre était rendu public, comme il y avait danger qu’il le fût, je l’y
cherchais et me ramentevant que le début de notre lien datait de mon retour de
Reims, et la chronologie dudit livre étant si précise, je ne faillis pas à l’y
trouver et dans ces termes :
« Catherina la viuda que quiere consolarse [35] , quiert de moi autorisation de
coqueliquer sine peccato [36] , avec
un gentilhomme de bonne maison ; menace de se passer de moi, si je n’y consens.
Auquel cas je perdrai toute possibilité de peser à travers elle sur la funeste
négociation entre G. et le renard de Béarn. Décision : 1°– lui trouver une
opinion probable. 2°– tâcher de savoir par Corinne qui est le galant. »
Après cela, et G. désignant de toute évidence le jeune duc
de Guise, il n’y avait plus qu’à suivre la chronologie pour me voir
moi-même apparaître sous les initiales P. de S. Lecteur, me voici, vu par
Guignard :
« Corinna dixit : “Rubicon franchi”. Le
galant est P. de S., huguenot qui a calé la voile sous Néron Sardanapale, mais
la caque sent toujours le hareng. Dans archives de la compagnie, rapport sur
lui du père Samarcas, martyr de la foi à Londres. (Affaire Babington) :
“P. de S. antiligueux encharné, homo libidinosus [37] , volage, rusé, mais point si
inconstant en politique”. D’après d’autres rapports non signés, rollet de P. de
S. mal défini du jour des barricades à la prise de Paris. Mais probablement de
grande conséquence à en juger par son ascension dans l’ordre de la noblesse. Se
confesse meshui une fois l’an au curé Courtil, lequel par malheur est un ennemi
juré de notre compagnie. Adonc, point d’approche. Décision ; primo –
enquêter sur P. de S. pour savoir s’il a otra mujer. 2 – L’estranger
par ce moyen de la viuda. 3 – Engager la viuda à demeurer
ferme sur les 3 requêtes de G. que le renard ne peut accepter. »
Encore que ce texte m’inspirât de sérieuses pensées, et en
particulier sur le principe même de la confession (car il faudrait être un ange
plutôt qu’un homme pour résister à la tentation du pouvoir que ce savoir sur autrui vous donne), deux choses m’y ébaudirent prou. Primo, je
savais de présent de qui Catherine tenait l’expression : « La
caque sent toujours le hareng », dont elle avait usé un jour à mon
encontre par tabustage et taquinade. Secundo, je m’encontrai honoré
assez que mon portrait en pied figurât dans les archives de la compagnie dite
de Jésus. Et si je n’eusse pas souscrit à l’épithète homo libidinosus, en
revanche le jugement de Samarcas (qui prenait là sa revanche posthume), à
savoir « volage, mais point si inconstant en politique » me parut
pertinent, et que je le dise enfin, me fit esbouffer à rire.
Je retrouvai P. de S. un peu plus loin, et fort menacé dans
ses amours.
« Otra mujer de P. de S. encontrada trovata [38] : Louison, chambrière
ramenée de Reims dans ses bagues. L’ai dit à la viuda, sans y toucher et
à titre de caquetage de ruelle : la viuda a eu du mal à cacher sa furore. J’augure bien de ses bec et ongles. »
Mais deux jours plus tard, la note du Livre de Vie trahissait
une certaine déconvenue.
« La nasse a failli : P. de S. est passé au
travers. Le rusé a renvoyé à temps Louison, laquelle est repartie à Reims dans
les bagues d’un marchand-drapier. Ladite garce a porté une lettre de P. de S. à
P., secrétaire de G. à Reims. Notre mouche auprès de P. n’a pu connaître son
contenu. Louison s’étant fâchée avec son marchand-drapier, est entrée au
service de P. : dixit mosca nostra [39] qu’elle coquelique avec
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