La pique du jour
de « Néron
Sardanapale », celui-ci m’avait employé probablement comme Miron, à sa
diplomatie secrète.
Bien plus redoutable était un rapport signé L. V. dont
Guignard n’avait touché mot. J’y reconnus tout de gob l’écriture émoulue,
effilée et tranchante de M me de La Vasselière, laquelle
affirmait que j’étais un espion à la solde de la « louve
d’Angleterre ». Ce qui était faux et que j’avais – ce qui était
vrai – sauvé, guéri et protégé un nommé Mundane, lequel ladite louve avait
envoyé au Béarnais dans les bagues de la funeste « ambassade du duc
d’Épernon » auprès d’Henri de Navarre. L. V. qualifiait cette
ambassade de « funeste » parce que s’y était amorcée, bien avant la
rencontre fameuse de Plessis-lès-Tours, l’alliance entre le dernier Valois et
le premier Bourbon.
Ce rapport me laissa béant, pour ce que La Vasselière, avant
d’être dépêchée de ma main dans un duel bien malgré elle loyal, avait proclamé
son appartenance à un ordre religieux, ce que j’avais alors décru. Mais qu’elle
ne fût pas sans lien avec les jésuites, son rapport le prouvait assez.
Je relus tous ces textes en pesant chaque mot et décidai de
détruire les rapports de Samarcas et de L. V., ne laissant subsister que
ceux qui n’étaient point signés et que leur imprécision rendait inoffensifs. Il
m’apparut, en effet, que si je ne laissais à mon nom que le vide, ce vide même
paraîtrait suspect, dans l’hypothèse où ces archives qui ne concernaient point le
procès seraient rendues aux jésuites. Or, Samarcas avait rejoint son créateur.
M lle de La Vasselière aussi et leurs venimeux témoignages
détruits, personne ne les pourrait mie reconstituer. Pour moi, ne doutant pas
de la pérennité de la Compagnie de Jésus, et que les membres de cette secte,
quand même ils seraient chassés de France, continueraient à pousser leurs pions
contre mon roi, je ne voulais pas si je croisais leur route derechef qu’ils
pussent me situer tout de gob sur l’échiquier.
Je vis le roi peu après le département des jésuites, et à sa
guise coutumière, j’entends couché, et vers la minuit. Or, à l’entrant dans la
grande chambre, je ne lui trouvai pas l’air si gai et gaussant qu’à l’ordinaire
et je me permis de lui dire que je ne lui trouvais pas l’air bien content.
— Content, Barbu ? s’écria-t-il avec véhémence,
comment le pourrais-je être de voir un peuple si ingrat envers son roi,
qu’encore que j’aie fait et fasse tout ce que je peux pour lui, il me dresse
tous les jours de nouveaux attentements ! Ventre Saint-Gris ! Depuis
que je suis en Paris, je n’ois parler de rien d’autre !
— Mais Sire, dis-je, le peuple, quant à lui, vous aime.
Jeudi dernier, quand vous allâtes en votre carrosse jusques à Notre-Dame, il
vous a tant acclamé que la noise eût débouché un sourd !
— Ha bah ! dit Henri d’un air triste et songeard
en portant la main à la petite emplâtre noire qui couvrait sa lèvre supérieure,
si mon plus grand ennemi était passé en telle pompe et carrosse devant lui, il
l’eût acclamé plus haut. Ha, Barbu ! répéta-t-il, avec un soupir (et
montrant en son œil, à l’accoutumée si goguelu, une expression fort lasse,
laquelle me frappa prou, pour ce que ce fut la seule fois où j’y lus un tel
désamour et de la vie et de ses sujets). Un peuple est une bête, principalement
le parisien, lequel se laisse mener par le nez par les menteux, les conteux et
les prédiseux. On l’a bien vu pendant le siège !
— Sire, dis-je, le peuple vous a de la gratitude pour
lui avoir apporté la paix.
— En ce cas, dit le roi avec un soudain retour de son
habituelle gausserie, il ne l’aura pas longtemps : car dès demain, sera
publiée et affichée en Paris ma déclaration de guerre à l’Espagne.
— Ha, Sire ! m’écriai-je, c’est galamment
résolu ! Il ne sera pas dit que Philippe continue à mener contre nous
cette guerre qui n’ose dire son nom, sans que vous tâchiez de vous revancher
sur lui à la parfin de toutes les écornes qu’il a faites à la France, à Henri
Troisième et à vous ! De grâce, comptez-moi parmi les premiers gentilshommes
qui auront la gloire de combattre à vos côtés.
— Nenni ! Nenni ! Nenni ! Barbu !
dit Henri qui continuait à m’appeler ainsi, alors même que ma grande barbe de
marchand-drapier était réduite au mince collier du
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