La pique du jour
P.
Renseignement sans usance aucune : P. es un hombre de todas las mujeres [40] .
« Ai pressé la viuda une fois de plus à tenir
ferme sur les trois demandes de G. Lui ai inspiré aversion et mépris pour les
négociateurs du renard. Ai tâché de mettre en elle quelque trouble touchant sa
quotidienne fornication avec P. de S. En vain. Dès lors que je l’absous, elle
se trouve quitte. Aucune peur de l’enfer. Nada que hacer [41] avec des âmes aussi
charnelles. »
De toute guise et façon, m’apensai-je, il est plus aisé de
façonner un esprit déquiété comme celui de Chatel que celui d’une femme saine,
drue et gaillarde comme ma jolie duchesse. Je pris note ensuite en mes
mérangeoises de prévenir Péricard qu’une mouche ligueuse voletait dans ses
alentours. Mais le croirez-vous, belle lectrice, alors même que je suis si
raffolé de Catherine, je sentis une petite piqûre de jaleuseté à ouïr que ma
Louison avec ce même Péricard… Que l’humaine complexion est donc étrange en ses
tours et détours !
Un peu plus loin la déconvenue de Guignard devenait tant
amère qu’elle descendait à la misogynie.
« La viuda a obtenu du renard de Béarn qu’il
renvoie les trois négociateurs et les remplace par… R… ! Se peut à la
suggestion de P. de S. Le huguenot pur diable recommandé par le huguenot
converti ! Horresco [42] !
Il est grand temps de porter le fer chez ces monstres, à commencer par le
renard. Depuis l’affaire Louison, j’ai hélas ! perdu toute influence sur
la viuda. Si je nomme devant elle le renard, avec quelque déprisement
elle s’écrie : “N’y touchez pas, c’est mon cousin !” Quand je glisse
un méchant mot sur R. : “N’y touchez pas, c’est mon parent !” Quand
je graffigne au passage P. de S., si elle n’a pas le front de s’écrier :
“N’y touchez pas. C’est mon galant !”, mais elle fait la moue, tord le
nez, sourcille, son œil bleu m’arquebuse. Les femmes n’ont aucun sentiment de
l’État. Pour elles ne comptent que les liens du sang et du sexe. L’adage romain
dit bien : Tota mulier in ventro [43] . »
Les notes concernant notre affaire n’allaient pas plus loin,
et comme j’ai dit jà, je me fis une ferme obligation, maugré que ma curiosité
fût au plus haut point titillée, de ne pas lire une ligne de tout le reste, me
contentant de supprimer les pages où la viuda et P. de S. apparaissaient.
Mais m’avisant à la réflexion que peu chalait que je ne lusse pas le reste, si
d’aucuns le devaient lire et répandre à tout le moins sous le mantel, ma
Catherine et tant d’autres voyant alors la malignité publique indélicatement
fourrager dans leurs plus intimes secrets, je me résolus en un battement de cil
à soustraire ce livre maudit au parlement, et le cachant dans mon pourpoint
(entre la peau et la chemise) comme Jean Chatel avait fait pour son couteau, je
courus chez ma belle, et l’huis clos sur nous, lui lus cet infâme factum.
Je crus qu’elle allait pâmer, à entendre à la parfin ce qui
avait bouilli en ces marmites d’enfer sous le sucre et la cannelle des
accommodantes confessions du père Guignard. Mais se reprenant à se voir saine
et sauve, en sa coite ococoulée dans mes bras, et le livre en notre possession,
je ne sais quel féminin serpent lui siffla à l’oreille de vouloir feuilleter
ces vénéneux feuillets. Mais je noulus. Et l’arrachant à ses mains potelées, je
jetai incontinent ce livre de mort au feu, où il crama de la première à la
dernière page.
Lecteur, ce sera à toi d’opinionner si j’eus raison ou non
de soustraire cette pièce aux juges. Non que cela changeât rien à l’affaire.
Les jésuites cuisaient jà dans leur mijot. En Paris, le populaire n’était que
cris, huées et détestation contre eux pour avoir voulu tuer leur bon roi et le
replonger dans les horreurs de la guerre civile et l’humiliation de
l’occupation espagnole. À la Cour, ce n’étaient que jurements de les enfermer
dans un sac et de les jeter en Seine, eux et les derniers ligueux. Et quant à
ceux du parlement qui avaient voté la surséance, il fallait les voir marcher à
l’oblique comme crabes, l’œil à terre, la crête rabattue, et la queue basse. Le
procureur La Guesle – qui avec Séguier, avait tant travaillé à la
surséance – ne recevait, où qu’il allât, que de méchants regards. Tant est
qu’à la parfin, ce grand coquefredouille (à qui depuis je n’ai mie
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