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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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suprême !
    — Tous ces papes me brouillent les mérangeoises,
dis-je, qui fut élu ?
    — Le pire des six, Grégoire XIV.
    — L’horloger, dit La Surie.
    — Eh quoi, Monsieur de La Surie ? dit Fogacer
en arquant son sourcil. Vous savez cela ! Grégoire XIV nourrissait,
en effet, une sorte de passion pour l’état d’horloger. Il passait ses journées
à réparer des montres et on lui en apportait de toute l’Italie. Et sans doute,
ajouta Fogacer en croisant pieusement les mains, cette occupation le rendit
myope au point de ne pas voir les affaires temporelles. De montre en horloge,
il n’entendit même pas qu’il avait cessé d’être le chef de la chrétienté pour
devenir le chapelain de Philippe. Il fit tout ce que l’Espagnol voulut. Il
donna à la Sainte Ligue en France dix mille soldats et sept cent mille écus. Les
dix mille soldats moururent presque tous en chemin de maladie et le Vatican fut
ruiné. Cependant, Grégoire XIV était bon homme assez.
    — Monsieur l’abbé, dit La Surie, je vous trouve
bien indulgent pour l’horloger.
    — Je suis d’Église, dit Fogacer avec son lent et
sinueux sourire, et chez un prêtre la bienveillance est une seconde vêture.
Plaise donc à vous de me permettre de jeter le manteau de Noé sur la vassalité
de Grégoire XIV et celle de son successeur Innocent XI, lequel, trop
innocent pour régner en ce monde d’intrigues et de brouilleries, fut rappelé
par son créateur trois mois après son élection.
    — Et quid de Clément VIII ?
    — En mon opinion, c’est cette fois par erreur que
Philippe II l’inscrivit sur la liste des papabili  ; il eût dû
se ramentevoir que le présent pape avait été cardinal par Sixte Quint.
    — Ce qui signifie, dis-je non sans un trémulent espoir,
que Clément VIII n’est pas acquis à Philippe.
    — Il ne lui est pas désacquis non plus, étant un homme
prudent et aspirant à mourir vieil. En outre, il est bien seul.
    — Seul, le pape ? dit La Surie.
    — Oui-da ! Seul, Oyez-moi bien,
La Surie : sur les soixante-dix cardinaux du Sacré Collège, bien plus
de la moitié doivent à Philippe ou leur chapeau ou une pension. Tant est qu’à
ce jour, si l’absolution de Henri était débattue en consistoire, elle serait
écartée par une écrasante majorité de « non ».
    — Touchant une affaire de conscience, dis-je, le pape
n’est nullement tenu de s’en remettre au consistoire.
    — Assurément. Mais une décision qu’il prendrait seul le
désignerait seul à la vindicte de Philippe.
    — Toutefois, dis-je, Philippe a sur les reins la guerre
que Henri lui a déclarée. Que peut-il faire de présent contre le pape ?
    — Beaucoup. Philippe possède la moitié de l’Italie, et
il peut priver Rome des blés des Pouilles et de la Sicile. Il l’a fait jà. Il
peut lancer six cents spadassins sur les terres du pape. Il l’a fait jà. Il
peut aussi cesser de combattre les pirates turcs qui dévastent les côtes
italiennes. Et enfin, il peut faire pis, comme on l’a vu…
    — Je gage, toutefois, dit La Surie, que
Clément VIII n’est pas sans quelques petits appuis.
    — Oui-da ! Et non des moindres ! Venise et
Florence le soutiennent.
    — Pourquoi ces villes-là précisément ? dit
La Surie.
    — Parce que, étant riches, elles ont beaucoup à perdre.
Et elles craignent que l’irrasatiable appétit du roi très catholique pour les
possessions de ce monde les absorbe un jour.
    — Babillebahou ! dit La Surie. Venise !
Florence ! Petits États !
    — Un État, dit Fogacer en élevant gracieusement le
pouce entre l’index et le médius comme s’il prêchait, un État n’est jamais
petit quand il a des pécunes et une bonne diplomatie. Toutefois, dit-il,
touchant l’absolution de Henri, Venise et Florence ne peuvent faire plus que
d’épauler et d’éclairer le pape. C’est peu, s’agissant d’un homme aussi timoré
que Clément VIII.
    — Fogacer, dis-je avec reproche, d’Ossat m’a rempli
d’espoir et vous, vous me désespérez.
    — Qu’y peux-je ? dit Fogacer en levant au ciel ses
bras arachnéens, j’en suis marri tout le premier. Le prédicament est ce qu’il
est. Je ne l’ai pas façonné. Je vous ai dit ce qui se dit de présent à Rome
parmi les clercs.
    — Mais à la parfin, m’écriai-je non sans quelque
véhémence, le bon sens, la raison, la simple humanité, l’indépendance du
Saint-Siège, l’intérêt bien compris de

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