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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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à tant de frais et de peine de
faire ce long voyage et de franchir les Alpes pour lui mander ce qu’il savait
jà. Tant est qu’en peu de mots j’éclairai sa lanterne sur le véritable objet de
ma mission.
    — Ha, monsieur le Marquis ! dit-il, j’entends bien
les alarmes de Sa Majesté, laquelle craint que le bannissement des
jésuites ait gâté l’affaire de son absolution. Et à la vérité, reprit-il en
posant les coudes sur les accoudoirs de son cancan et en joignant ensemble les
bouts de ses dix doigts, je confesse que je ne fus pas moi-même sans cette
appréhension à la première audience que Sa Sainteté me donna après ce
funeste événement.
    — J’ai ouï, dis-je, que Sa Sainteté avait pleuré.
    — Monsieur le Marquis, dit d’Ossat avec un fin sourire,
il faut comprendre que là où un roi s’encolère et sourcille, un pape, à qui ces
manifestations peu chrétiennes ne sont pas permises, ne peut que s’affliger,
soupirer et pleurer. Son état le veut. Et touchant Clément VIII, je dirais
que son humeur l’y dispose aussi.
    Je fus ravi de cette analyse et, de ce moment, j’envisageai
d’Ossat d’un autre œil, ce qu’il entendit aussitôt car il me fit un second sourire,
celui-ci adressé à moi, tandis que le premier l’était à lui-même, pour se
féliciter de son esprit.
    Je lui contresouris incontinent, et après cet échange qui
nous rapprocha prou, il poursuivit un récit auquel il prenait visiblement
autant de plaisir que moi-même y attachais d’intérêt.
    — Je suis, dit Sa Sainteté, bien marri de ce qui
est arrivé… (Observez, monsieur le Marquis, qu’il ne dit pas à qui, le nom de
l’hérétique n’étant même pas prononcé.) Mais, poursuivit-Elle, je suis aussi
très marri (et si j’ose ainsi parler, ce très marri était
incomparablement plus marri que le bien marri qui le précédait)
de l’arrêt par lequel le parlement de Paris a chassé les jésuites de France,
alors que Chatel n’avait rien dit contre eux…
    — Que répondîtes-vous alors, monsieur l’abbé ?
dis-je, étonné de l’affirmation du pape.
    — Mais naturellement, je me tus, dit d’Ossat. Et quant
au pape, il poursuivit en ces termes. Oyez-les bien : ils sont tous bien
pesés. «  Comme pour aggraver le mal, reprit le Saint-Père, le
parlement de Paris a déclaré hérétique la proposition des jésuites, selon
laquelle le roi ne doit être reçu et reconnu, s’il n’a l’absolution du
Saint-Siège. Autant dire, s’écria le pape avec un grand soupir qui
paraissait lui venir du profond de son cœur, autant dire que cette absolution
qu’on réclame de moi est de nulle importance ! D’Ossat, poursuivit-il en
levant les bras au ciel, voyez si c’est là le moyen d’accommoder les choses
comme nous désirons et comme elles étaient très bien acheminées… »
    — Mais cela ne coupe pas du tout les ponts, dis-je.
    — Bien le rebours !
    — Et que dit ensuite le pape ? dis-je vivement.
    — Il tourna alors à soupirer et à me redire qu’il était
infiniment marri.
    — Et que répliquâtes-vous, monsieur l’abbé ?
    — Mais je me tus, naturellement, dit d’Ossat. Je voyais
bien que le pape était trop irrité pour m’ouïr. En lui répondant, je l’eusse
exaspéré sans le convaincre. Dans le moment, ajouta-t-il en tournant sa tête
fine de dextre à senestre avec la vivacité d’un oiseau et m’adressant tout
ensemble une œillée et un sourire, dans le moment où les douleurs sont crues et
saignantes, même un pape ne prend pas si facilement la raison en paiement…
Attendons que les premières impétuosités soient un peu alenties.
    — J’imagine, dis-je, que les jésuites doivent mener
grand bruit à Rome sur cet exil de leur compagnie.
    — Et les Espagnols plus encore, dit d’Ossat. Mais ces
clameurs et ces brouilleries n’auront qu’un temps. Le moment venu, je
ressaisirai la navette et referai mon fil. Le succès est au bout.
    — Monsieur l’abbé, dis-je, j’admire votre fiance.
    — C’est que je vois les choses d’un œil clair et
froidureux, dit d’Ossat. Henri Quatrième est un grand capitaine, son armée est
puissante et il marche de succès en succès. Or, quand il serait le plus grand
catholique du monde, jusqu’à faire un miracle par jour, si toutefois il était
malheureux à la guerre, il ne serait jamais reconnu à Rome. Comme au contraire,
il ne serait que tolérable catholique, si en revanche il prend le

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