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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dessus en
France par la force de ses armes, Rome lui offrira l’absolution que meshui elle
lui refuse. Rome a plus à perdre à ce refus que lui.
    — Comment cela ? dis-je, étonné.
    — Ne connaissez-vous pas l’adage ? dit l’abbé avec
un sourire et un pétillement de son œil bleu : Si le curé fait tant de
difficultés à bénir les œufs de Pâques, les paroissiens les mangeront sans
qu’ils soient bénits.
    —  Ce qui veut dire ?
    — Que le roi a sur le pape un immense avantage :
il plaide saisi. Il tient et il possède. Il donne les évêchés et les abbayes,
et ceux à qui il les donne en jouissent. Le pape en tout cela demeure dessous,
et son autorité gît par terre. En excluant le roi de la religion catholique, il
s’exclut lui-même du premier royaume de la chrétienté, et n’y peut rentrer
qu’en baillant à Henri l’absolution. S’il s’obstine à ne la point donner, c’est
le schisme ! s’écria tout soudain d’Ossat avec une douleur qui ne me parut
pas contrefeinte. Et Rome court le risque affreux de voir s’émanciper de sa
tutelle l’église gallicane, comme l’a fait jà l’église anglicane sous
Henri VIII d’Angleterre.
    Ce morceau me parut si plein de sens et de substance que je
fus un bon moment à le mâcheller avant de répondre.
    — Dans ces conditions, dis-je, le pape ne pouvant
faillir d’apercevoir le danger que vous dites, pourquoi délaye-t-il tant à
satisfaire le roi ?
    — L’Espagnol ! monsieur le Marquis ! s’écria
d’Ossat, l’Espagnol ! L’obstacle, c’est l’Espagnol ! L’Espagnol qui
est presque plus puissant à Rome que le pape ! Vous en voyez devant vous
la preuve ! Pour me pouvoir donner audience, le Saint-Père doit
contrefeindre auprès même de ses domestiques, tous achetés par
Philippe II, de ne m’entretenir que des requêtes de la reine Louise…
    Dès la minute où je fus en mon logis revenu, je dictai à
M. de La Surie la relation Verbatim [46] de
cet entretien et comme il quérait de moi, à la fin de cette tâche, s’il lui
faudrait l’apporter au roi :
    — Nenni, dis-je, mon Miroul, il te faudra l’apprendre
par cœur, ainsi que toutes les relations que j’écrirai par la suite de ce que
j’aurai glané.
    — Afin de les mémoralement réciter au roi ? dit
Miroul. C’est jeu d’enfant. Il vous ramentoit sans doute que pour m’enseigner à
moi-même le latin, j’ai appris mot pour mot toutes les harangues de Cicéron. Et
à la vérité, poursuivit-il avec un sourire qui se gaussait de soi, je crois que
je les sais encore. Encore que mon âge ait passé quarante ans, la Dieu merci,
mémoire chez moi n’est pas plus rouillée que mentulle.
    — Amen, dis-je en riant.
    — À ce propos, Moussu, savez-vous de qui la belle
huissière est la fille ?
    — Nenni.
    — D’une autre belle huissière qui mourut un peu avant
la Saint-Barthélemy de vénériens excès et sur laquelle M. de L’Étoile
vous a lu de certains licencieux petits vers que vous citez souvent.
    — Dieu du Ciel ! Sa fille ! Et elle a marié
un huissier aussi !
    — Un huissier à verge, dit Miroul. Cela allait de soi.
Moussu, poursuivit-il, comment se fait que la belle huissière vous quittant
demain pour retourner en notre belle France, vous ne soyez pas plus marmiteux.
Vous ne l’aimez guère, ce me semble.
    — Je ne suis pas d’elle raffolé. Combien que garce avec
qui je coquelique me trouve toujours atendrézi, celle-ci, le premier soulas
passé, m’ennuie l’âme à mourir. Tant plus son cas est chaud, tant plus son cœur
est froidureux.
    — Eussiez-vous préféré que ce fût l’inverse ?
    — Non plus. Mais je n’encontre pas avec elle ces doux
moments qui suivent les plus furieux tumultes. Se parler alors ou ne se point
parler, c’est tout un, quand c’est ensemble qu’on s’accoise, au bec à bec, et
l’œil à l’œil collé. Ou si l’on devise alors, c’est de ces mille riens qui sur
l’instant vous sont plus chers que toutes les philosophies…
    Disant cela, je me détournai, les larmes au bord du cil, et
marchant jusqu’à l’encoignure d’une fenêtre, j’envisageai mon jardin romain
dont les cyprès étaient rayés par la pluie.
    — Moussu, dit La Surie après un moment de silence,
si telle est votre humeur, vous ne sauriez trop pâtir de ce que j’ai à vous
apprendre. Hier soir, quand vous étiez chez M. d’Ossat, j’ai surpris
Thierry saillant tout débraguetté de

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