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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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il
conçut un plan très ingénieux pour tâcher de déguiser son voyage.
    Le voici tel qu’il fut, point par point, par nous
exécuté : Je louai une coche et dans cette coche, nous fîmes, claquemurés,
tout le voyage de Rome à Florence, où nous séjournâmes huit jours, visitant la
ville et les villes circonvoisines de Toscane. Après quoi, à la nuitée,
La Surie départit à cheval pour la France, avec la moitié de l’escorte,
emportant dans ses bagues une lettre pour Angelina et une autre pour ma jolie
duchesse. Je revins moi-même à Rome avec l’autre moitié, toujours dans la coche
et les rideaux tirés et sans en saillir avant qu’elle fût entrée dans ma cour,
et le portail reclos.
    Après quoi j’observai pendant dix jours en mon palais
cardinalice une clôture rigoureuse, laquelle fut rendue plus aisée par une
interminable et marmiteuse pluie dont un des effets fut de priver la borne de
ma porte cochère de mon mendicante particulier, comme je m’en aperçus en
dépêchant Thierry lui porter mon obole.
    Le soleil nous revint enfin et, opinionnant qu’ayant donné
dix jours d’avance à Miroul sur ses éventuels poursuivants, je pouvais
reparaître sans lui au grand jour, je sortis enfin, et la première personne que
je vis fut Alfonso délia Strada, majestueusement assis sur ma borne en ses
guenilles, la main dextre sur son bâton dressé à la verticale, son menton
reposant sur le dessus de sa main, et l’œil si occupé à pensare all’
eternita qu’il ne voyait même pas sa main senestre tendue pour les aumônes.
La mienne toutefois ne manqua pas de le surprendre :
    —  Signor Marchese, dit-il avec un air de pompe,
permettez de grâce au plus humble de vos serviteurs de vous dire qu’en
daignant, dans votre aumône présente, compter les dix jours où les pluies
romaines m’ont empêché d’orner et de défendre votre porte, vous avez fait
preuve d’une meravigliosa delicatezza [70] .
    —  Alfonso, dis-je gravement, je suis heureux
tant plus de te revoir que je te croyais pâtissant de quelque intempérie.
    — Nenni, Signor Marchese. Mais quand il pleut ou
que le soleil est trop rude, je préfère méditer couché sur ma coite que dans la
rue. Toutefois, poursuivit-il, mardi dernier, mettant à usance quelque
assouagement du temps j’ai visité la pasticciera.
    —  Tu la connais donc ? dis-je avec un
sourire du coin du bec.
    — C’est ma cousine, dit-il, la crête fort redressée, et
sur le même ton de simplicité grandiose dont il m’aurait dit que le pape était
son oncle.
    — Alfonso, dis-je, je te fais tous mes compliments,
d’avoir dans ta famille une beauté si accomplie, laquelle j’ai vue à sa fenêtre
avec une admiration grandissime (le lecteur observera que moi aussi, peu à peu,
je prenais le ton italien).
    —  Signor Marchese, dit Alfonso d’un air tout
ensemble grave et entendu, la voir à sa fenêtre, c’est ne pas la voir vraiment…
Quoi qu’il en soit, poursuivit-il avec un soupir, je l’ai trouvée dans les
larmes, ayant ouï par sa cameriera [71] qu’un
de ses amants venait de mourir d’un grand dérèglement des boyaux.
    — Voilà qui est infortuné.
    — En plus d’un sens, dit Alfonso. Car cet amant, dont
pour de dignes raisons je ne peux prononcer le nom, était d’une disposition
tendre et donnante.
    — La pasticciera, dis-je sans me permettre un
sourire, pleure donc et sa tendresse et ses dons.
    —  Signor Marchese, je ne voudrais pas que vous
pensiez que la pasticciera est avare, avide et pleure-pain. Tout le
rebours. Mais elle a une nombreuse famille à nourrir et aussi un train à
soutenir qui soit digne de sa beauté. Cependant, elle aime ses amants du bon du
cœur.
    — Je le crois, dis-je, encore que ce pluriel me gêne.
    —  Signor Marchese, dit Alfonso d’un ton de
discret reproche, vous ne serez jamais un bon Romain, si vous n’avez pas
l’esprit plus large… La raison pour laquelle la pasticciera aime ses
amants, c’est qu’elle les a choisis aimables, et c’est la raison aussi pour
laquelle, une place étant devenue vacante en son cœur, j’ai osé lui parler de
vous.
    — Tu as pris beaucoup sur toi, Alfonso.
    — Et davantage encore, Signor Marchese  ;
jeudi prochain, sur le coup de cinq heures, je vous dois présenter à elle.
    — Cornedebœuf ! Sans me consulter de prime ?
    —  Signor Marchese, dit Alfonso avec un petit salut,
le cardinal Giustiniani vous a-t-il consulté avant que

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