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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de vous présenter au
pape ?
    — Comment ? dis-je béant, tu sais cela !
    Mais je ne pus m’étonner plus avant, car un petit page vêtu
à l’espagnole, m’ayant demandé si j’étais bien le marquis de Siorac, me tendit
un billet et avant même que je pusse lui graisser le poignet, s’ensauva. Je
rentrai incontinent dans ma demeure et m’approchant du feu qui brûlait dans la
cheminée et tendant vers lui alternativement mes pieds (mon long et immobile
entretien avec Alfonso m’ayant fort refroidi), je lus ce poulet qui, dans
l’esprit de celle qui l’avait écrit, n’était pas calculé non plus pour me
réchauffer prou.
     
    Monsieur,
     
    Mon cousin Don Luis Delfín de Lorca, qui vous a encontré au
Vatican, me dit que vous lui avez parlé de moi dans les termes les plus émus et
m’a fait part de votre invitation à vous venir visiter. Je suis, à la vérité,
touchée assez que vous ayez gardé quelque affection pour moi et n’en suis que
plus marrie de me devoir refuser la joie de vous revoir. Mais les mêmes fortes
raisons qui ont fait que j’ai quitté votre toit, lesquelles je vous ai exposées
tout au long et au large en ma lettre d’adieu, plaident d’une façon pleine,
aperte et résolue contre le renouement de nos liens. Il est vrai qu’on me dit
que vous êtes de présent solitaire, mais connaissant de longue main vos
dispositions, je ne peux que je ne conjecture que cet état de solitude ne
durera que le temps des roses, et que vous n’allez pas tarder, à Rome comme
ailleurs à traîner après vous une tourbe de femmes, à laquelle il serait
disconvenable à une dame de bon lieu de se trouver, peu ou prou, mêlée.
    C’est pourquoi mon amitié pour vous demeurera lointaine
toute vive qu’elle soit, et tout sincèrement que je puisse me dire, Monsieur,
    Votre attentionnée et dévouée servante,
    Doña
Clara Delfín de Lorca.
     
    Il ne m’échappe pas que mes lecteurs et mes lectrices ne
laisseront d’apprécier très diversement ce poulet, les premiers disant :
« Voilà bien les femmes : faute de pouvoir passer toute sa vie avec
lui, elle lui refuse une visite d’une heure ! » et les deuxièmes
disant : « Voilà bien les hommes ! Il l’a rebutée à Paris quand
elle était à ce point raffolée de lui qu’elle sortait de sa dignité pour le lui
faire assavoir, et maintenant qu’il s’encontre à Rome, seul et marmiteux, il se
rabat sur elle ! Et chattemite par surcroît ! Car s’il voulait bien
mettre devant la tête les idées qu’il a derrière, il avouerait qu’il attendait
d’elle bien autre chose que la benoîte amitié dont il lui a tendu la
perche !… »
    Belle lectrice, ne poursuivez pas, de grâce, ce
réquisitoire ; je vous donne tout à plein raison contre moi, à cette
nuance près qu’ayant beaucoup plus d’amour pour Doña Clara que je l’eusse
voulu, je n’avais cessé de regretter que ma prudence (et la crainte que
m’inspirait son humeur griffue) me l’ait fait écarter de mon chemin.
    Je confesse aussi, cornedebœuf ! toutes les
arrière-pensées qu’on voudra ! Et puisque j’en suis à me rouler dans la
poussière à vos pieds, je dirais que la lettre de Doña Clara me rendit à ce
point furieux et malheureux, que saillant brusquement de mon logis et
retrouvant Alfonso sur sa borne (comme Diogène dans son tonneau), je lui dis
d’un ton vif :
    — Alfonso, à la réflexion, tu as fort bien agi :
dis à la Signora Teresa que je tiendrai jeudi à très grand honneur de lui être
présenté.
    Le jour suivant, Alfonso me fit demander par Luc de me venir
trouver chez moi afin que de me parler au bec à bec sans courre le risque
d’être ouï par les passants. Et l’ayant fait entrer tout de gob, l’ayant prié
de s’asseoir près de mon feu et ordonné qu’on lui donnât du vin, je trouvai
qu’encore qu’il fût vêtu de ses coutumières guenilles, il avait dû faire
quelque toilette afin que de ne point offenser mes narines en mon logis. Et assurément,
n’étaient les haillons de son état, il eût eu une tête noble assez sans
l’infortunée disposition de ses yeux que mon Miroul appelait des yeux
« papistes », pour ce que l’un envisageait le ciel tandis que l’autre
restait fiché en la terre.
    Quand il eut bu, Alfonso me fit un suave discours, me
recommandant de prime de ne pas prendre à la légère ma présentation à la pasticciera pour la raison que le seul fait d’être présenté à elle –

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