La pique du jour
et sa bonne noblesse se
mettent au hasard de leur vie sous Amiens.
— Toutefois, dit Miroul d’un air songeard, Rosny a
promis le secret à Fayet.
— Il l’a promis pour lui, et non pour moi. Et pourquoi,
à ton sentiment, m’a-t-il fait retirer dans ce petit cabinet, la porte
entrebâillée, sinon pour que je porte témoignage de cette scène à Henri ?
— Cornedebœuf ! dit La Surie, j’y vois clair
enfin ! Rosny baille sa parole à Fayet et s’arrange pour que tu y manques
pour lui… Il faut bien avouer que ton Rosny est un grand Machiavel.
— Mon Rosny est un grand honnête homme, mais, mon
Miroul, ne le sais-tu pas comme moi ? Même une bonne politique ne se fait
pas innocemment…
Mon département pour Amiens fut délayé d’une semaine encore,
pour ce qu’une partie de l’or que Rosny avait amassée devait être par lui
changée en munitions et en vivres. Quant à moi, je n’avais pas trop de ces huit
jours de grâce pour rassembler une escorte que je voulais puissante assez pour
affronter une embûche et toutefois suffisamment rapide pour lui échapper, si
l’embûche se trouvait elle-même trop forte pour que je la pusse balayer en un tournemain,
l’important étant non pas de se battre, mais que le précieux envitaillement que
je transportais pût atteindre le roi. Raison pour quoi je ne voulus pas de gens
de pié qui m’eussent beaucoup alenti, mais des cavaliers et non point de
lourdes charrettes, mais des coches de voyage, lesquelles, même chargées aussi
lourdement que leurs essieux le pouvaient souffrir, s’avéreraient infiniment
plus roulantes.
Au beau mitan de cette fébrile activité, je ne laissais pas que
d’être fort irrité par l’extraordinaire mobilité, légèreté et crédulité de
l’esprit français. Amiens pris, on crut le roi perdu, la monarchie défaite, le
royaume occupé, chacun ne songeant plus qu’à son particulier, les Grands
recommencèrent leurs infinies brouilleries, la noblesse protestante ne
rejoignit pas le roi sous Amiens, et les débris de la Ligue reprirent vie tout
soudain. Les nouvelles les plus fausses dont l’origine n’était assurément pas
innocente se mirent à ébranler Paris et à exagiter le populaire. Il n’était
point de jour qu’on annonçât qu’une grosse ville avait été capturée par
l’Espagnol et comme si Amiens ne suffisait pas, on annonça la prise de
Poitiers… La sournoise méchantise des ligueux alla plus loin encore. Ils firent
courir le bruit que le roi était frappé d’une maladie mortelle, tant est que,
ses jours étant comptés, on creusait jà sa tombe…
Trois jours avant mon départir pour Amiens, Pissebœuf me
vint trouver et me dit, grinçant quasi des dents, qu’ayant vidé à la nuitée un
flacon avec Poussevent à la taverne de l’Écu, il avait ouï à la table voisine
une demi-douzaine de gautiers porter une tostée à la santé et à la victoire du
roi d’Espagne. Après quoi, ayant piqué leurs dagues sur la table, ils avaient,
avec jurons et menaces, exigé du tavernier et de ses pratiques qu’ils en
fissent autant. Ce dont Poussevent et lui-même tenaient très à cœur de se
revancher et, ayant appris par le tavernier que lesdits gautiers venaient chez
lui chaque jour à la même heure vider leurs gobelets, il avait le propos, avec
ma permission, d’y aller avec Poussevent et quatre ou cinq de mes gens afin que
de frotter quelque peu ces Français espagnolisés.
Pour moi, ne voulant ni refuser cette permission ni
l’accorder sans réserves, craignant qu’il y eût mort d’homme, je pris le parti
de commander de ma personne ce chamaillis et d’introduire dans sa préparation
quelques petites précautions dont la première fut d’avertir Pierre de Lugoli du
lieu et de l’heure. La seconde de faire revêtir à tous mes gens sous leurs
pourpoints une chemise de mailles, et enfin, de faire préparer par Faujanet
quelques bons gourdins, lesquels enveloppés dans une couverture, furent portés
par un de mes gens dans le coin le plus sombre de la taverne, un peu avant
l’advenue de nos croquants. Pour moi, je revêtis ce pourpoint de buffle épais
qui m’avait été de bonne usance quand j’avais délogé le Bahuet de ma maison
après la prise de Paris.
Nous entrâmes aux chandelles à l’auberge de l’Écu, et bien
avant ces fols que j’ai dits et qui, dans l’aveuglement de leur zèle fanatique,
préféraient vivre sous le joug et l’inquisition de
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