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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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« trois » je souris, mais très à la
discrétion, et comme Don Luis et Don Fernando s’entretenaient en aparté derrière nous, je pris quelque avance avec La Surie et Fogacer, et me
trouvant au botte à botte avec ce dernier, je lui dis :
    — Monsieur mon confesseur, plaise à vous de me dire ce
qu’il en est de la vie de saint Laurent.
    — Pauvre caque, dit Fogacer avec un soupir, il est
temps que je vous décrasse des relents de votre ignorance. Tout catholique
sait, quasi à la naissance, que le plus intéressant dans la vie de saint
Laurent, ce n’est point sa vie, c’est sa mort.
    — Et comment est-il mort ?
    — Sur le gril.
    — Un gril ?
    — Oui-da ! Un grand gril porté au rouge !
    — Et qu’avait-il fait ?
    — Il avait adressé à un gouverneur romain une réponse
pleine de bravura [113] . Il faut dire qu’il était
espagnol.
    — Est-ce la raison pour laquelle, à Saint-Quentin, il a
donné la victoire à Felipe ?
    — C’est du moins ce qu’a cru Felipe.
    — Superstition toute pure !
    — Monsieur mon confessé, dit Fogacer, peux-je vous
ramentevoir que nier le pouvoir ou le bon vouloir d’un saint, c’est jà retomber
dans le cloaque de l’hérésie.
    — Mais vous-même avez exprimé un doute.
    — Je me confesserai de ce doute, dit Fogacer la face
imperscrutable.
    — Céans ?
    — Nenni ! Nenni ! Suis-je homme à aller
taquiner les moustaches de l’inquisition ?
    Don Fernando m’en avait prévenu : au fur et à mesure
qu’on s’approchait de la Sierra de Guadarrama dont les monts noirâtres et
sinistres barraient notre horizon, l’aigre vent du nord, qui jusque-là balayait
la Ilartura avec tant de violence, soulevait en nuages la poussière du
chemin et courbait de dextre et de senestre les herbes rares et les maigres
buissons, perdait de sa force, et la tracasseuse bise une fois calmée, on vit
venir devant nous, au détour du chemin, une pente raide assez pour que les
montures se missent d’elles-mêmes au pas, hormis toutefois ma jument, laquelle,
d’humeur jaleuse et escalabreuse, ne pouvait qu’elle ne fût partout la
première. Tant est que parvenu le premier au sommet de la côte, le premier aussi
je vis l’Escorial, et ce que j’en vis, à cette distance du moins, me laissa
pétrifié et quasi hors mes sens.
    Jusque-là, on m’avait davantage parlé de l’Escorial que de
Felipe II, comme si la carapace eût eu plus de prix que la tortue. Ce qui,
se peut, n’était pas faux. Je ne pouvais douter non plus que tout ce qu’on m’en
avait dit fût vrai : que l’Escorial fût tout à la fois un monastère, un
caveau royal, un palais d’été et une stèle à la victoire espagnole, je le
voulais bien croire. Mais personne ne m’avait pipé mot de ce qui m’apparut, du
moins à cette distance, comme sa principale vertu : son émerveillable
beauté.
    Que je le redise enfin, vu à cette distance et dans la
lumière de ce clair matin, ce qui me frappa dans l’Escorial, ce fut tout
ensemble ses proportions grandioses et sa blancheur immaculée, laquelle
ressortait d’autant plus qu’elle tranchait sur les monts noirâtres du
Guadarrama, qui au nord le protégeait du vent. Chose étrange – après tout
ce qui m’avait été dit de l’humeur mélanconique et macabre de celui qui l’avait
bâti –, l’Escorial, non seulement par sa blancheur mais avec ses dômes,
ses tours, ses flèches (et les boules dorées qui les terminaient)
m’apparaissait comme un immense palais oriental qu’aurait construit pour ses
plaisirs, ou pour sa favorite, un vizir passionné.
    — Eh bien, Señor Marqués, dit Don Fernando qui
venait de me rejoindre et dont la face longue, chevaline et grave parut trahir
quelque contentement à me voir tant ébahi, nous appelons l’Escorial la huitième
merveille du monde. Qu’en êtes-vous apensé ?
    — Je n’ai pas jeté l’œil sur les sept autres, dis-je,
mais, à la vérité, je ne vois rien, ni à Londres, ni en Paris, ni à Rome, qui
puisse lui être comparé.
    — Il est certain, dit Don Luis avec un sourire, que vu d’où
nous le voyons, l’Escorial fait un très grand effet…
    Son sourire et sa réticence eurent du moins le mérite de me
préparer à la désillusion qui fut la mienne quand après une heure de trot, je
fus le premier encore au pied de l’édifice. Ha, lecteur ! L’Escorial était
grand, en effet, il était même immense, mais sa façade implacablement rigide

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