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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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couverte d’une herbe rare,
piquée qui-cy qui-là de buissons. Toutefois, cette Ilanura, comme Don
Luis me dit qu’on l’appelait, n’était point si plate qu’elle paraissait. En
avançant, on encontrait des plis dans son étoffe, et, dans ces plis –
comme des oasis dans un désert –, des petites vallées verdoyantes, des
cultures, des hameaux et le bruit confortant d’un ruisseau.
    Vers les neuf heures, le vent du nord se mit à souffler, et
si aigre et si fort en pleine face que, maugré le soleil, je cessai de déplorer
mon pourpoint de velours.
    —  Señor Marqués, me dit Don Fernando en poussant
son cheval à côté du mien, comment trouvez-vous le vent ?
    — Émerveillablement fort.
    — Il décroîtra, dit-il d’une voix étouffée, à
proportion qu’on sera plus proche de la Sierra de Guadarrama dont vous voyez à
l’horizon les montagnes noirâtres. Les moines de l’Escorial disent de ce vent
qu’il est le souffle du démon.
    — Y a-t-il des moines à l’Escorial ?
    — Une bonne centaine, dit Don Fernando.
    — Une centaine ?
    — L’Escorial est avant tout un monastère, dit Don
Fernando gravement.
    À cet instant le vent redoublant de violence empêcha toute
conversation utile, et Don Fernando put à peine me dire qu’on allait s’arrêter
dans le proche village, lequel, étant sis dans un des plis de la Ilanura, nous
protégerait quelque peu de l’haleine du diable.
    — À en juger par la force de ladite haleine, me
chuchota La Surie à l’oreille tandis que nous démontions, la forge de
l’Enfer ne doit pas manquer de flammes, du moins du côté espagnol.
    —  Señor Marqués, me dit Fernando qui, ayant
démonté lui aussi, tenait sa monture par la bride et lui caressait le chanfrein
de sa longue main osseuse, plaise à vous de m’excuser d’arriver tardivement à
table, mais j’ai à faire de prime en ce village. Don Luis vous tiendra
compagnie.
    À cet instant, tournant la tête vers lui et lui répondant
courtoisement, je fus frappé de la ressemblance de son profil avec celui de son
cheval, la différence étant qu’il avait les joues creuses, étant un gentilhomme
fort maigre dont le torse estéquit se trouvait emmanché sur de longues jambes
de coq.
    La collation, à vrai dire, s’avéra, elle aussi, maigrelette,
mais les convives – Don Luis, Fogacer, La Surie et moi-même – ne
laissaient pas d’avoir entre eux quelque amicale connivence.
    — J’ai appris de la bouche de Don Fernando, dis-je, en
mâchellant une plaque de jambon qui me parut tout aussi dure et sèche que la Ilanura, que l’Escorial, que je croyais être un palais, est surtout un monastère.
    — Point du tout, dit Don Luis, sur le ton de pompe
contrefeinte qu’il ne quittait jamais. L’Escorial, dans la réalité des choses,
est un caveau.
    À quoi nous l’envisageâmes, bec bée.
    — Un caveau, que Felipe a construit pour son père, pour
lui-même et pour la famille royale. Les moines ne sont là que pour dire des
messes sur les cadavres royaux dans les siècles des siècles, afin que de leur
déclore à la parfin le ciel par la force de leurs prières.
    — Cependant, dis-je, Felipe II réside à l’Escorial
pendant l’été.
    — En effet, dit Don Luis. Felipe est le premier roi au
monde à avoir fait d’un caveau une résidence d’été : les pharaons
eux-mêmes n’y avaient pas songé. Il est vrai que l’Escorial est de grandes
dimensions, puisque deux côtés sur quatre ont plus de cent toises de long [112] .
    Avec l’advenue de Don Fernando, l’entretien changea de ton,
mais non de sujet, La Surie voulant savoir pourquoi le roi avait dédié le
monastère à San Lorenzo.
    — Je demande pardon, dit Don Fernando, de le
ramentevoir au Señor Marqués de Siorac, mais en 1557, les Espagnols
battirent les Français à Saint-Quentin et s’emparèrent de la ville le
10 août. La fête de San Lorenzo tombait ce jour-là, et pour remercier le ciel
de sa victoire, Felipe II décida de bâtir un monastère qui porterait son
nom.
    Comme nous remontions à cheval après cette petitime repue,
La Surie se glissa à mon côté et me dit à l’oreille :
    — Mon Pierre, sais-tu quels sont les saints qui
présidèrent à nos victoires de Laon, de Fontaine-Française et d’Amiens sur les
Espagnols ?
    —  Ma fé, je ne saurais dire.
    — Que pitié ! Nous aurions pu suggérer à notre
Henri de bâtir trois monastères pour les mercier…
    À ce

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