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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ma compagnie par Don Cristobal.
    Don Cristobal, quand à la parfin je le vis apparaître chez
moi – car je le dus espérer pendant une grosse demi-heure, tout en Espagne
étant plus lent qu’en France –, ne me parut pas vêtu très différemment de
Don Fernando, le noir ou le foncé étant les seules couleurs en cette Cour, mais
sa face qui avait l’air d’un marbre poli, ses manières, qui étaient suaves, et
surtout sa voix qui évoquait de petites billes de verre s’entretoquant
doucement dans un bain d’huile, me parurent justifier le surnom que Don Luis
lui avait baillé. Toutefois, à son plumage de corbeau et à son ramage
rossignolant, Don Cristobal joignait une onction dévote qui me parut être de
règle en cette Cour, où l’on encontrait plus de prêtres et de moines qu’en
aucune autre.
    Le lecteur entend bien que Don Cristobal de Mora n’était pas
homme à abréger les civilités, lesquelles, pendant un bon quart d’heure, il me
roucoula cristallinement en pur castillan et auxquelles je tâchai de répondre
en français du mieux que je pus, encore que je sentisse bien que ma langue
natale n’était pas aussi éloquente que la sienne, ni ma courtoisie aussi
minutieuse. On n’ignore pas, de reste, que notre française politesse est imitée
de la leur, et que c’est aux Espagnols que nous devons, entre autres choses, le
baisemain aux dames, us que je trouve charmant, à tout le moins quand ladite
main est bien décrassée, ce qui n’est pas toujours le cas, même chez les
princesses du sang.
    Après ce long et lent préambule, Don Cristobal en vint à la
parfin aux faits et me dit :
    — Mon vénéré Maître et Seigneur Felipe II désire
vous voir sur l’instant, doutant de le pouvoir faire s’il attend davantage,
n’étant venu dans ce lieu béni que pour préparer sa mort et son cercueil.
Sa Majesté se portait déjà si mal en Madrid, pâtissant prou et de jour et
de nuit, qu’au su de son projet de venir céans, je me jetai à ses pieds pour la
supplier de n’en rien faire, craignant qu’il y allât de sa vie. Mais il me
ramentut qu’il avait consacré trente ans de son existence à la construction et
à l’aménagement de l’Escorial, afin que le monastère reçût un jour son tombeau,
comme il avait déjà reçu ceux des siens : « Puisque c’est pour
mourir, ajouta-t-il, personne n’y portera mes os plus honorablement que
moi. »
    Encore que ce propos me parût teinté de cette bravura qu’on reproche d’ordinaire aux Espagnols, je fis entendre quelques murmures
indistincts et dévotieux. Après quoi, l’oreille attentive – car il était
fort disert –, je suivis Don Cristobal dans le dédale de l’Escorial, mais
observant que nous traversions une cour intérieure pour diriger nos pas vers la
Basilique, je quis de lui si c’était là que l’entretien devait avoir lieu.
    — Pas exactement, me dit-il, mais dans la sacristie où
Sa Majesté vient de se faire porter en litière pour admirer les reliques
des saints qu’il a ordonné qu’on lui envoie des Pays-Bas et de l’Allemagne,
ayant l’ambition de les rassembler toutes, ou quasiment toutes, à l’Escorial.
Vous n’ignorez pas, Señor Marqués, le culte particulier que rend le roi
très catholique aux saints et aux reliques des saints comme pour mieux affirmer
sa détestation du dépris diabolique où les tiennent les protestants. Et il
semble, ajouta Don Cristobal en assourdissant son suave roucoulis, que par
cette visite à la sacristie, où ces reliques nouvellement advenues sont
rassemblées, Sa Majesté veuille prendre congé de tous les saints, ses
amis, qui se trouvent céans, et leur dire adieu en attendant de les retrouver
dans la gloire…
    Derechef, je fis entendre un pieux murmure, encore que je
trouvasse très aventurée l’assurance de Don Cristobal touchant la
« gloire » de Felipe II dans l’éternité, sa vie terrestre ayant
été ce que l’on sait.
    Dès que j’eus pénétré dans la sacristie, Don Cristobal me
toucha légèrement le bras et me dit à l’oreille en un murmure suave de ne pas
avancer plus outre, lui-même ne pouvant aller au roi sans que le roi l’aperçût
et l’appelât. Pour moi, bien que dardant partout des yeux avides, je n’aperçus
nulle part Sa Majesté, tant est que Don Cristobal, devinant ma déception,
me dit à l’oreille :
    — Vous ne pouvez pas voir le roi. Il est sur sa litière
et celle-ci vous est cachée, comme à moi,

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