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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et
monotone où s’ouvraient des centaines de fenêtres, toutes semblables, accablait
l’œil par sa morne géométrie. En outre, il n’était pas blanc, mais d’un gris funèbre,
micacé de points noirs. Ha lecteur ! Que j’étais loin de mon beau palais
oriental, de ses plaisirs, de ses amours, de ses favorites, de la fantaisie et
de la grâce de ces palais mauresques dont on m’avait dit qu’en cette Espagne il
y en avait de si beaux ! Pas un ornement, pas un motif, et à part une
géantine statue de saint Laurent, pas de statue non plus, mais un alignement
rigide et maussade qui tenait de la prison ou de la caserne : lieux que
personne n’a jamais attenté d’orner, puisque personne n’y peut aimer la vie. À
mon sentiment, je ne pourrais mieux comparer cet édifice aride qu’à une dalle
mortuaire de granit qu’un tyran morose aurait eu la fantaisie d’élever à la
verticale.
    —  Señor Marqués, observez bien le plan de
l’Escorial, me dit Don Fernando en bridant son cheval à côté du mien, il est
révérentiel : C’est un quadrilatère, les quatre tours représentant les
pieds et ce petit bâtiment en saillie figure le manche. Devinez-vous ce que
l’Escorial a le dessein de symboliser ?
    — Nullement, Don Fernando.
    — Mais un gril, Señor Marqués  ! dit Don
Fernando en caressant sa moustache avec gravité. Un gril ! Le gril sur
lequel San Lorenzo mourut, consumé dans d’atroces souffrances…
    — Est-ce Sa Majesté Felipe II, dis-je, qui a
conçu l’idée de choisir le gril de San Lorenzo pour modeler sur lui le plan de
l’Escorial ?
    — Assurément, dit Don Fernando en levant le sourcil
comme s’il était étonné de ma question.
    Je branlai la tête deux ou trois fois pour signifier combien
cette invitation m’édifiait, mais en mon for, je me trouvai béant qu’un grand
roi eût cette trouvaille étrange de s’inspirer, pour célébrer un saint, de
l’instrument qui l’avait torturé.
     
     
    Dès que je fus logé à l’Escorial, à vrai dire petitement
assez, mais avec cette commodité que je n’étais pas séparé de mes compagnons,
Don Luis me vint voir et sur le ton de l’amical abandon qu’il avait avec moi
depuis Madrid, me dit :
    —  Marqués, j’espère que vous n’êtes pas trop
déconforté par l’aspect monacal de votre chambre. Mais Felipe lui-même n’a pour
se loger qu’une cellule. Nous pensons, poursuivit-il en appuyant sur le
« nous » avec une gravité pleine de dérision, que le corps n’est rien
et que l’âme est tout ; et qu’à mortifier le corps, l’âme la plus noire
fait son salut, pourvu qu’elle ait à portée de la main moines, messes, oraisons
et reliques.
    — L’âme la plus noire ? dis-je doucement en levant
le sourcil.
    — Savez-vous qui loge à votre dextre, dit Don Luis à
voix basse en détournant la tête.
    — Le révérend abbé Fogacer.
    — Et à votre senestre ?
    — Le chevalier de La Surie.
    — Au-dessous et au-dessus de vous ?
    — Mes Gascons.
    — Fort bien, dit Don Luis en allant à la fenêtre grande
ouverte sur la Sierra de Guadarrama et en me faisant signe de l’y venir
rejoindre. Sachez, reprit-il en me parlant au bec à bec, et en italien, que
l’âme la plus noire loge dans un corps qui se défait, pourrissant de son vivant
même…
    Il parla ainsi avec un petit brillement de haine dans son
œil sombre qui m’éclaira sur le ton d’ironie déprisante que j’avais observé
chez lui dès nos retrouvailles à Madrid. Marqués, reprit-il, avez-vous
ouï parler de Don Juan d’Autriche ?
    — Oui-da, j’ai ouï dire de lui par mon bien-aimé
maître, le roi Henri Troisième, qu’il était, de tous vos princes, le plus beau,
le plus brillant, le plus vaillant et le plus assoiffé de vie.
    — En bref, dit Don Luis en serrant les dents, tout le
rebours de l’âme noire, dont il était le frère naturel et qui fut le Caïn de
cet Abel.
    — Ha, Monsieur mon ami ! dis-je, que
dites-vous ? En êtes-vous sûr ?
    — Certain ! Don Juan avait éveillé la jalousie et
la défiance de son demi-frère en négociant secrètement son mariage avec Mary
Stuart. Cette faute, si c’en était une, ne lui fut mie pardonnée. L’âme noire
fit tuer de prime par son secrétaire, Antonio Perez, l’homme de confiance de
Don Juan : Escovedo. Puis, se retournant contre Perez, il l’accusa de ce
crime commandé par lui-même. Et comme l’affaire ne paraissait pas tourner à

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