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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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relique de plus près, j’en fus certain.
    — Sur l’étiquette, dit Felipe, perpétuant l’erreur de
Don Juan Gomez dans les siècles des siècles, marquez bien, de grâce :
« Bras droit de saint Vincent Ferrer. »
    La seconde relique était plus petite : c’était l’os du
genou de saint Sébastien : saint que Sa Majesté tenait en
particulière vénération pour ce qu’il lui semblait – d’après ce qui me fut
dit – avoir ressenti dans ses membres, en raison de sa goutte, des
lancinements aussi doulants que ceux du saint percé par les flèches impies.
    — Monsieur le prieur, dit-il, veillez à ce que ces deux
reliques fassent partie du reposoir que je veux avoir sous mes yeux dans ma
cellule… Je vous dirai la place précise qu’il vous faudra attribuer dans chaque
chapelle de la basilique aux autres reliques que j’ai vues céans…
    Ayant dit, il aperçut, ou contrefeignit d’apercevoir pour la
première fois Don Cristobal et moi-même et, de sa main déformée, fit signe à
son grand chambellan de s’approcher, lui parla à l’oreille et, sur un hochement
de tête de celui-ci, lui commanda à voix haute de m’aller chercher. Je
m’approchai alors de la litière, la tête inclinée, le visage révérend, les yeux
baissés, et je me génuflexai, Felipe s’excusant de ne pouvoir me donner sa main
à baiser, celle-ci étant si douloureuse.
    —  Marqués, me dit-il d’une voix faible, mais
très précisément articulée, êtes-vous dépêché auprès de moi en tant
qu’ambassadeur permanent ou ambassadeur extraordinaire ?
    — Extraordinaire, Sire, n’ayant reçu de pouvoir que
pour vous présenter le point de vue de mon maître le roi Henri Quatrième sur
l’affaire du marquisat de Saluces.
    — Je vous ois, dit Philippe, ses yeux pâles ne quittant
pas ma face.
    Je lui fis alors, en termes succincts, l’exposé de la
question que j’avais eu tout le temps, aidé par Fogacer, de polir et de repolir
en bon castillan.
    —  Marqués, dit Philippe II quand j’eus
fini, le marquisat de Saluces, depuis sa création en 1142, n’a pas cessé d’être
une pomme de discorde entre l’Autriche, le duché de Savoie et le royaume de
France, ayant été successivement vassal de ces trois pays jusqu’au jour où le
roi de France, Henri II, l’annexa. Mon gendre, le duc de Savoie, peut donc
prétendre qu’il a rétabli sur le marquisat les droits de la Savoie en
l’occupant en 1588. Raison pour laquelle, Marqués, on n’a pu s’entendre
sur ce point en négociant avec votre pays le traité de Vervins.
    Combien que Felipe s’exprimât d’une voix faible et d’un air
fort las, je fus très frappé de constater qu’il avait conservé ses mérangeoises
intactes et aussi, sans nul doute, ses haines, car il avait parlé du royaume
de France et votre pays sans jamais nommer mon maître, que même
l’absolution papale n’avait pas à ses yeux lavé du péché d’hérésie.
    — En outre, reprit Felipe, on a requis Sa Sainteté
de trancher et elle s’y est refusée, preuve sans doute que le Droit en cette
affaire lui est apparu douteux.
    — Sire, dis-je alors, il serait infiniment navrant que
le marquisat devînt un casus belli entre mon maître, Henri Quatrième,
roi de France et de Navarre (je ne manquai pas, comme bien on pense, de lui
donner tous ses titres avec une bravura digne d’un Espagnol) et
Son Altesse Charles Emmanuel premier, duc de Savoie (je ne pouvais faire
moins, en contrepartie, pour ce petit vautour), alors même que mon maître
propose au duc de lui laisser le marquisat contre quelques territoires à leur
frontière commune.
    —  Marqués, dit Felipe en fermant les yeux, nous
en reparlerons plus à loisir, si du moins Dieu m’en laisse le temps.
    Cette réplique de Felipe II m’embarrassa fort, car tout
en me laissant prévoir un rejet des propositions françaises, il ne les rebutait
pas tout à trac, fidèle en cela à cette manie prudente et temporisatrice qui
lui avait valu tant de déboires dans sa politique européenne. J’en étais céans
la première victime. Car dès lors que Felipe m’avait dit : « Nous en
reparlerons », je ne pouvais plus le quitter pour retourner en France,
tout assuré que j’étais qu’il ne changerait pas d’avis et doutant de reste, à
considérer l’état dans lequel je l’avais vu, qu’il aurait jamais la force de me
recevoir à nouveau. Je me trouvais donc condamné à demeurer inutilement

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