Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
réduisaient à deux : j’avais refusé les liens auxquels mon
amicale disposition lui avait « appris à aspirer », et qui pis est,
chambrière, bourgeoise ou haute dame, pour moi « c’est tout un »,
j’étais le mari de toutes les femmes…
    Toutefois, à mon grand soulagement, elle s’arrêta au seul
chapitre de mes bonnes qualités, sans ajouter pour une fois du vinaigre à son
miel, ni du griffu à ses caresses, et me jetant, par-dessus le gobelet que je
tenais à ses lèvres, de tendres et chaleureux regards, elle me laissa quasi
incrédule de sa pliable humeur, elle dont j’avais essuyé à Rome de si roides
rebuffades dans le temps même où elle me sauvait la vie. Je balançai à lui en
dire ma gratitude de vif bec, mais m’avisant que je ne le pourrais faire sans
lui ramentevoir qu’elle avait, pour ce faire, ravalé sa dignité jusqu’à courre
chez la pasticciera, je craignis que ce rappel vînt ranimer sa coutumière
jaleuseté, et je me contentai de l’entourer d’un petit nuage de mots
affectionnés, tout en lui caressant doucement la nuque de ma main senestre
puisque, aussi bien, elle n’avait pas voulu que je la retirasse. Toutefois, au
bout de trois à quatre minutes de ce manège chattemite, elle me fit signe
qu’elle ne voulait plus boire et, pâlissant à nouveau, elle me dit d’une voix
mourante :
    — Eh bien, Monsieur, je vous ai vu, enfin ! Cela
est assez, je m’ensauve !
    Quoi disant, elle se leva, mais chancelante et trébuchante
au point qu’elle se serait versée à terre si je ne l’avais retenue dans mes
bras et serrée contre moi. Étreinte où il me parut que son corps fondait et
s’amollissait au point de m’ôter toute envie – si j’avais pu concevoir une
telle envie – de la laisser aller. J’étais alors tout à fait hors mes
sens. Toutefois, au milieu même de mon emportement, l’idée me vint que c’était
bien la première fois de ma vie que je serrais contre moi une robe de bure, et
avec un tel émeuvement. Mais ayant été si souvent graffigné par Doña Clara, je
n’osais encore lui poutouner les lèvres quand, de soi, elle me tira de cette
hésitation en baisant les miennes à la fureur. Ha, lecteur ! Je me demande
si je connais les femmes aussi bien que je le crois ! Elles me surprennent
toujours…
    Les minutes qui suivirent m’ôtèrent cette surprise en même
temps que toute autre pensée. Mais nos orages apaisés, Doña Clara allongée
contre mon flanc, nue en sa natureté, elle revint de soi en mon esprit et avec
tant de force que je résolus de m’en éclairer. Toutefois, ne voulant pas
réveiller ses griffes, je commençai mon inquisition fort doucement et par le
plus anodin côté.
    — Mamie, dis-je, d’où vient cette robe de bure dont je
vous vois déguisée ?
    — De mon confesseur, dit-elle. Elle était déchirée. Je
lui ai dit que s’il voulait me la faire apporter par un frère convers, mes
femmes lui feraient une reprisure, et au lieu de cela, lui voulant faire un
cadeau, je lui en ai offert une neuve. Toutefois, j’ai gardé la vieille que
voilà, trouvant impie de la jeter.
    — Mon ange, dis-je après un long silence, je ne
m’attendais pas à ce que vous me vinssiez voir céans à l’Escorial après les
deux lettres que j’ai reçues de vous, l’une à Paris et l’autre à Rome.
    Quoi disant, je me soulevai sur mon coude pour l’envisager
œil à œil.
    — En effet, dit-elle, la face imperscrutable, elles
étaient roides assez.
    Et là-dessus, voyant qu’elle ne dirait rien de plus, je
résolus de battre un autre bastion de cette citadelle.
    — Don Luis m’a dit que vous aviez résolu de prendre le
voile.
    À cela elle ne répondit de prime ni mot ni miette, les
paupières baissées et son profil de médaille gardant une immobilité pierreuse,
qui ne laissa pas que de m’étonner après les transports où je l’avais vue.
    — Ce qui est de conséquence dans cette décision,
dit-elle enfin d’une voix détimbrée, ce n’est pas tant la décision elle-même
que le moment où je l’ai prise.
    — Et quand l’avez-vous prise ?
    — Au moment où j’ai su que vous veniez céans.
    — Mamie, dis-je, voilà qui est étrange. Qu’ai-je à voir
avec votre vocation ?
    — Hélas, dit-elle, ce n’est pas tant une vocation
qu’une aride nécessité. Mon Pierre, poursuivit-elle, les larmes lui coulant
tout soudain sur les joues, vous devez savoir que dans le temps où je vous
écrivais

Weitere Kostenlose Bücher