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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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absolu de cet homme a
introduits en Europe et aux Amériques me paraît plaider contre lui.
    — Lui a-t-on révélé qu’il était perdu ?
    — Tant est grande la terreur qu’il inspire encore,
aucun des médecins n’ose prononcer ces mots terribles et ils en ont chargé son
confesseur, Fray Diego de Yépès, et celui-là, que pourtant protège sa robe,
hésite encore…
    Cinq ou six jours, je crois, après cet entretien (ma
remembrance étant là-dessus imprécise assez), on toqua à mon huis sur les dix
heures de la nuitée et, l’allant déclore, je vis devant moi un moine
encapuchonné qui me parut fort jeune et me dit en français, d’une voix douce et
murmurante :
    — Monsieur le Marquis, voulez-vous me faire la grâce de
me recevoir ?
    — Entrez, mon père, dis-je, intrigué assez.
    Le moine entra et ayant reclos l’huis sur lui, je le pris
par le bras (qui me parut fluet), l’amenai à l’unique cancan de ma
chambre – ou devrais-je dire plutôt de ma cellule ? –, l’y fis
asseoir non sans quelque forme de respect, mais observant qu’il gardait son
capuchon et dérobait sa face à la lumière de l’unique chandelle, laquelle
brûlait sur une petite table à côté du cancan, je conçus de lui quelque
défiance, et d’autant que j’observais qu’il gardait les deux mains dans ses
larges manches. Tant est que je m’apensai tout soudain qu’il eût pu en faire
jaillir à volonté un cotel comme Jacques Clément. À vrai dire, je ne voyais de
présent aucune raison pour laquelle on voudrait m’assassiner, mon ambassade
étant découverte et publique, mais depuis la meurtrerie dont fut victime à
Saint-Cloud mon pauvre bien-aimé maître, le roi Henri Troisième, je confesse
que je ne peux voir une robe de bure sans quelque mésaise. Aussi bien
reculai-je jusqu’à ma table de nuit et, m’appuyant de ma main senestre, je
saisis derrière mon dos un pistolet (que je tiens là toujours en réserve et
rescous) mais sans le montrer, ni volonté de m’en servir, sauf aux fins
d’intimidation, me disant que si ce moine n’avait d’autre arme qu’un cotel, je
le pourrais toujours arrêter d’un coup de botte dans le poitrail s’il se jetait
sur moi.
    — Mon père, dis-je, voyant que le moine ne pipait mot,
la tête baissée sur la poitrine, mais respirait toutefois avec force, comme si
une vive émotion le poignait, mon père, dis-je, si vous avez affaire à moi, je
vous écoute.
    — Ce n’est pas aisé à dire, commença enfin le moine
d’une voix douce, basse et murmurante.
    Ayant dit, il se leva et fit un pas comme pour gagner la
porte, puis comme ayant vergogne de sa couardise, il se rassit, mais oppressé
et trémulent.
    — Ha ! J’étouffe ! dit-il enfin, et sortant
d’un coup les mains de ses larges manches, il rejeta en arrière le capuchon qui
lui couvrait le chef.
    — Doña Clara ! dis-je, béant.
    — Dieu soit loué ! dit-elle avec un grand soupir
en s’affaissant sur son cancan, le plus dur est fait ! Je n’eusse pas cru
en venir à bout ! Monsieur, dit-elle, je vais pâmer… De grâce, donnez-moi
un peu d’eau…
    Ce que je fis et l’aidai à boire, tenant le gobelet à son
bec et lui soutenant la nuque, laquelle était inerte dans le creux de ma main
senestre. Toutefois, dès qu’elle eut bu, ses paupières se mirent à parpaléger
et un peu de couleur lui revint. Je voulus alors reposer sa tête sur le dossier
du cancan, – Nenni ! nenni ! dit-elle d’une voix faible et
entrecoupée, laissez là votre main : elle me conforte prou. Je suis
heureuse de vous voir, poursuivit-elle en m’envisageant de ses yeux d’un bleu
profond, bordés de cils noirs. Il me semble qu’il y a un siècle que je n’ai
jeté l’œil sur vous. Baillez-moi encore un peu d’eau, de grâce !
Savez-vous, reprit-elle, ce que cela me ramentoit ?… Quand vous m’avez
recueillie pendant le siège de Paris alors que je mourais de verte faim :
Vous m’avez baillé du lait coupé d’eau et donné à la becquée au petit cuiller.
Ha, Pierre, que bon et bénin vous fûtes !
    Et d’une voix fort ténue, tout en buvant qui-cy qui-là une
gorgée d’eau, Doña Clara se mit à débiter la litanie de mes « aimables
vertus » avec autant de feu qu’elle l’avait fait en Paris dans sa lettre
d’adieu, ce qui me donna à craindre que cette litanie laissât place, comme dans
ladite lettre, au rappel de mes « déplorables vices », lesquels, de
reste, se

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