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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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commandes-tu sur ma
vie ?
    — Oui-da !
    — C’est bon ! J’y cours dret !
    — Que formalistes sont ces gens ! dit le duc.
    — Ou terrorisés, dit Péricard, sotto voce. Compagnons,
reprit-il en s’adressant aux hommes des milices, qu’a dit
M. de Saint-Paul quand il a serré le lieutenant Rousselet en
geôle ?
    — Des paroles sales et fâcheuses, dit au bout d’un
moment l’un des hommes, que nous aurions vergogne à répéter.
    — C’est bien pourquoi, dit Péricard, Monsieur le Duc
les veut ouïr.
    — Monseigneur le Duc nous en donne-t-il l’ordre ?
    — Sur ta vie ! dit le duc dont je vis bien qu’en
son infantine humeur, il avait envie de rire de ces répétitions.
    — Compagnons, vous m’êtes témoins, dit l’homme. Voici
donc, Monseigneur, en protestant de mon respect pour vous, et de votre maison,
ce qu’a dit le duc du Rethelois.
    — Le duc du Rethelois ! dit le prince de Joinville
en grinçant des dents.
    — Monseigneur, dois-je poursuivre ?
    — Oui-da, sur ta vie !
    — M. de Saint-Paul, qui advint céans peu
après que M. le Baron de La Tour eut emmené les deux gentilshommes qui se
disaient parents de Monsieur le Duc, de prime arrêta le lieutenant Rousselet,
disant qu’il fallait que ledit Rousselet fût bien traîtreux pour avoir admis
dedans les murs des guillaumes qui n’étaient point connus de la Sainte Ligue,
fussent-ils vos parents.
    — Poursuis ! dit le duc, l’œil étincelant.
    — Il dit ensuite qu’il ne souffrirait pas que les
manants et habitants de Reims lui dictassent sa conduite : qu’il savait
bien qu’ils poussaient tous les jours ce béjaune de duc de Guise –
avec votre pardon, Monseigneur – à quérir de lui le retrait de la garnison
étrangère, mais qu’il le noulait du tout, et que si le duc insistait, au lieu
de deux cents Espagnols, il en fourrerait deux mille dedans nos murs !…
    — Tudieu ! dit le duc en se mettant un poing dans
la bouche pour s’empêcher d’en dire plus.
    — Voici la masse, Monseigneur, dit Rabourdin en
survenant, hors de souffle, mais plaise à vous de commander à un de vos hommes
de rompre le cadenas. Je me suis compromis assez en allant quérir la masse.
    — Poussevent, dis-je à l’oreille de Péricard.
    — Poussevent ! dit Péricard à haute voix.
    Et encore que Poussevent ne fût pas tant géantin que le
maître-menuisier Tronson, la masse parut plume dans ses mains, et d’un seul
coup décadenassa l’huis.
    Le pauvre Rousselet saillit de sa cellule, l’œil clignant à
la lumière, et fort flageolant sur ses courtes gambes, n’ayant rien bu ni
glouti depuis la veille à l’aube. Le duc, qui n’avait pas la tripe impiteuse,
voyant ce qu’il en était de sa faiblesse, commanda qu’on lui apportât pain, vin
et jambon pour le roborer ; festin sur lequel mon Rousselet tomba comme
loup sur agnelle, et reprenant vie à vue d’œil et m’oyant déplorer de ne
pouvoir franchir ces murs pour prévenir Miroul, me dit que Saint-Paul, le
serrant prisonnier, avait négligé de le fouiller et qu’il avait dans ses
chausses la clef de la porte piétonne. J’en rugis de contentement et expédiai
incontinent Pissebœuf dire à M. de La Surie de laisser les
chevaux et les bagues à la garde de cinq de nos hommes, d’armer le reste en
guerre et de nous venir rejoindre dedans les murs, en toute célérité et
silence. Ce qu’il accomplit heureusement, le duc se trouvant fort conforté de
voir ces aguerris soldats venir à rescous des siens.
    On dit qu’un bonheur ne vient jamais seul. Il en est de
cette superstition comme de toutes autres : il suffit qu’elle se vérifie
une fois pour qu’on y croie toujours, ce que je fais à la minute où j’écris
ceci, pour ce que cette nuit-là, à peine nos hommes dans nos murs et Miroul à
moi revenu, à notre grand et réciproque contentement, surgit un chevaucheur
apportant mot au prince de Joinville que son oncle le duc de Mayenne (lequel
était, comme on sait, chef de la Sainte Ligue, mais point tant espagnol qu’il
l’avait été) le viendrait visiter le lendemain à Reims avec une forte
escorte ; qu’il priait son neveu, dès son advenue, de mettre un terme à
l’insufférable hautaineté de Saint-Paul. Ce renfort et cet encouragement mirent
le duc en telle juvénile ébullition qu’à peu qu’il ne voulût courre à
Saint-Paul au milieu de la nuit pour le mettre à demeure de renvoyer la
garnison espagnole.

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