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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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matinales déambulations,
et d’autant que Miroul et moi étions vêtus de nos pourpoints de buffle, vêture
coutumière des capitaines, de quelque parti qu’ils fussent.
    — Plaise à vous, me dit Péricard, de laisser une
sentinelle devant la mise au tombeau du Christ, laquelle se trouve en l’église
Saint-Rémi dans l’absidiole du transept Sud, afin que, si je vous dépêche un
messager, il vous trouve sans encombre.
    Ce que je fis, ladite mise au tombeau qui s’élève dans un
renflement, et que je découvris en battant un briquet, étant un groupe de sept
statues grandeur nature entourant le Christ mort qu’on se prépare à envelopper
dans un linceul, avant que de le mettre dedans le tombeau sur lequel il gît. Je
laissai là Poussevent et Pissebœuf, et Miroul et moi, suivis par nos trois
soldats guisards, nous fîmes à pas de chat et quasi à tâtons le tour de
l’église, laquelle me parut lugubre et marmiteuse, le jour étant gris, à peine
levé et obscurci encore par les vitraux. Tant est que, nous trouvant dans le
transept Nord, nous faillîmes donner du pié contre trois ou quatre guillaumes,
lesquels, à croupetons, lavaient les dalles avec des brosses et de l’eau.
Battant le briquet et voyant que j’avais affaire à des frères convers et étonné
de les voir ainsi employés, et en si petit nombre (car il eût bien fallu une
centaine d’entre eux pour approprier le sol de l’abbaye), je leur demandai la
raison de cet étrange labour : question à laquelle, sans même relever la
tête, ils ne répondirent miette.
    — Capitaine, dit soudain une voix derrière mon dos, qui
servez-vous et que quérez-vous céans ?
    Me retournant, je vis alors, se détachant d’un pilier et à
moi venant, un moine de haute et majestueuse stature, quoique fort maigre, à en
juger par le flottement de sa robe de bure autour de son corps, et dont la
présence ne fut pas sans me troubler prou, pour ce que, mon briquet
s’éteignant, je ne distinguais pas sa face, tant en raison de la pénombre que
de la capuche qui couvrait son chef.
    — Mon très révérend père, dis-je avec un profond salut,
je suis un des capitaines de Monseigneur le duc de Guise, et ayant ouï
qu’il y a eu à l’aube quelque trouble en cette église, je suis céans pour m’en
informer.
    — Hélas, mon fils ! dit le moine de sa voix grave
et profonde. C’est bien pis. Dedans cette vénérable église, assurément la plus
vénérable de France puisqu’elle a vu le baptême de Clovis par saint Rémi, s’est
perpétrée à la pique du jour une très horrible et très sacrilégieuse
assassination. Le sieur Bahuet, secrétaire de M. le Baron de La Tour et
comme lui très bon catholique et très fidèle défenseur de la Sainte Ligue, y a
trouvé la mort. Ses serviteurs viennent d’emporter son corps et les frères
convers que vous voyez là lavent le sang répandu afin que les dalles n’en
soient pas imprégnées.
    — Ha, mon très révérend père, dis-je, que voilà une
piteuse nouvelle ! Et sait-on qui a fait ce méchant coup ?
    — D’après ses serviteurs, quelque mauvais garçon à qui
le sieur Bahuet avait, en sa chrétienne charité, coutume de bailler l’aumône.
Mon fils, peux-je requérir de vous une prière pour ce frère nôtre qui a
passé ?
    — Mon très révérend père, dis-je (sachant bien ce que
parler veut dire), je la ferai du bon du cœur, et plaise à vous d’accepter de
moi pour la vôtre cette modeste obole.
    — Mon fils, dit le moine en retirant vivement ses mains
de ses profondes manches et en tendant vers moi des doigts squelettiques qui,
au toucher, me parurent froids comme glace, vous avez dans ce transept Nord une
statue du Christ de pitié, piés et mains ès liens, et le chef couronné
d’épines. Que si pour le salut du trépassé, vous récitez devant ladite statue
trois Pater, vous obtiendrez en même temps pour vous trois cents jours
d’indulgence. La chose n’est pas sue de tous, et je ne la dis qu’aux très bons
catholiques. Vous trouverez cette vénérée statue sur votre main dextre. Pour
moi, votre obole me fait un saint devoir de dire ma messe ce jour pour le repos
de l’âme du malheureux Bahuet. Je vais m’y préparer. Mon fils, le Ciel vous
garde !
    Quoi disant, il commanda aux frères convers d’un ton roide
assez de ne point tant languir à la tâche, et s’en alla si promptement qu’il me
parut se fondre en un battement de cil dans la pénombre de

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