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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Comme vous savez, je
n’appète pas au sang, et encore que ce Bahuet soit un franc scélérat, je
n’eusse pas levé le petit doigt pour l’envoyer à la mort sans des
considérations qui tenaient à l’intérêt de l’État. Plaise à vous, belle
lectrice, de m’excuser de me répéter, mais Paris prise, le royaume n’était pas
revenu de soi à Henri Quatrième. Faillaient, entre autres, des pièces
maîtresses : les provinces du Nord et de l’Est, lesquelles la prétendue
Sainte Ligue occupait et par elle pouvait appeler en France à volonté
l’Espagnol des Flandres. Laon et Reims se trouvaient donc être les boulevards
qui pouvaient mener l’étranger derechef devant Paris. Raison pour quoi le roi
assiégeait Laon, et se voulait accommoder au duc de Guise en Reims :
gros morceau où se cachait un os peu mâchellable : Saint-Paul, lequel nous
eût, Quéribus et moi, tout dret occis, s’il avait été sûr que nous fussions
envoyés par le roi pour engager cette négociation. Mais nourrissant là-dessus
malgré tout quelque doutance, et si arrogant qu’il fût, hésitant à tuer un
cousin du duc de Guise, il avait imaginé de faire dépêcher Péricard,
lequel, de tous les serviteurs du prince de Joinville, avait seul assez
d’esprit pour mener à bien un accommodement entre Henri Quatrième et la maison
de Guise. Ne pouvant frapper en amont il avait frappé en aval, dans
l’espoir d’intimider le duc. Il était donc de la plus grande conséquence de le
contr’intimider en expédiant Bahuet, et puisqu’il avait engagé le fer, de lui
en donner tout de gob quelques pouces, en faisant occire l’avant-dernier maillon
de sa chaîne scélérate par le dernier.
    Ayant dit à Péricard que je voulais parler au duc bec à bec,
il parut surpris de me voir prendre avec moi Pissebœuf quand il me vint
chercher pour cet entretien, mais sans en montrer le moindrement d’humeur, ni
question poser. Il m’amena au premier étage du logis dans une chambre richement
ornée où je trouvai le jeune prince en ses chausses et chemise, l’air furieux
et l’épée à la main, en train de larder de coups une sorte de mannequin, lequel
était attaché par les pieds au parquet et par le cou au plafond par une
cordelette.
    Cette exercitation me parut si étrange et si peu profitable
à l’art de l’escrime – le mannequin qui laissait échapper du crin par ses navrures,
ne pouvant ni branler, ni parer les coups, ni riposter – que je m’arrêtai,
béant, sur le seuil de la pièce et considérai longuement le duc, lequel était
si encharné à sa folle besogne qu’il ne m’aperçut pas.
    Il n’avait pas, à dire le vrai, grande allure, n’ayant
hérité de son père ni la haute taille, ni la beauté, ni la féline grâce, étant
petit, estéquit et gauche, la face ni belle ni laide, et encore que sa
grand-mère Nemours eût fort exagéré en l’appelant un « morveux sans
nez », il faut bien avouer que son nez était fort bref et donnait à sa
physionomie un air infantin, auquel concouraient encore l’œil bleu lavande et
un certain air de simplicité naïve qu’il tenait de sa mère.
    — Qu’est-ce donc que ce mannequin ? dis-je à
l’oreille de Péricard qui se tenait à mon côté, n’osant interrompre son maître
en ses emportements.
    — Je ne sais, mais je gage qu’en son esprit, c’est
Saint-Paul, dit Péricard, sotto voce, mais si bas qu’il eût parlé, le
nom de Saint-Paul dut frapper l’ouïe du prince de Joinville, car il se
retourna, nous vit, et jetant son épée sur sa coite, il s’aquiéta tout soudain,
vint à moi, les mains tendues, et avec une amabilité et une simplicité des plus
touchantes (lesquelles me ramenturent sa mère) me fit des merciements à
l’infini pour avoir volé avec les miens au secours de son secrétaire. Quéribus,
ajouta-t-il, était à sa toilette et nous ne le reverrions qu’au souper, tant
est qu’il me pouvait de présent consacrer son oreille, ayant su de son cousin
que je lui apportai de sa mère, et une lettre missive, et un message oral.
    — Pour la lettre, Monseigneur, dis-je, plaise à vous
d’être quelque peu patient, pour ce que mon arquebusier, Pissebœuf, l’a dû
cacher sur soi, pour échapper à la fouille, et la doit de présent décacher.
    Quoi oyant, mon Pissebœuf, après avoir salué le prince
jusqu’à terre s’assit sans façon sur une escabelle, se retira du pied la botte
dextre, et y enfonça la main, en retira

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