La pique du jour
cul nu.
— Monsieur mon maître, je vous fais mes excusations. La
garce n’est point putain. Elle est loudière.
— Pis encore ! criai-je à la fureur.
— Mon maître, pardon, je vous prie. Elle n’est point
loudière, elle est folieuse.
— Guillemette, cornedebœuf !
— Vramy, Monsieur, il faut que vous ne soyez pas bien
ragoûté pour aller fourrer votre mentulle dans ce gros tas de graisse rustaude,
lequel pue encore la crotte de l’étable.
— Monsieur mon maître, dit Louison, laquelle, dominant
Guillemette de la tête et des épaules, avait essuyé cet assaut les bras croisés
et la face placide, peux-je quérir de vous question ?
— Quiers, Louison.
— C’est-il que vous coqueliquez avec ce
brimborion ?
— Point du tout.
— Me le jurez-vous par la Benoîte Vierge ?
— Par la Benoîte Vierge et par tous les saints.
— En ce cas, la chose est simple.
Et marchant sur Guillemette, elle appliqua des deux mains
sur ses deux joues deux soufflets si forts et si claquants que la petitime se
versa au sol, tout étourdie. La ramassant alors comme elle eût fait d’un paquet
d’attifures, la Louison la chargea sur son épaule, et disant d’un ton
tranquille qu’elle allait la ranimer sous la pompe, elle s’en alla.
— Ha ! mon Pierre ! dit Miroul, riant à
gueule bec, vramy je commence à changer d’opinion sur la Rémoise. Encore que tu
ne l’aies pas engagée dans ce dessein, notre bonne Louison aura du moins cette
usance de rabattre le caquet de notre petit bec de Paris. La Dieu merci, ce ne
sera pas un mal ! Je commençais à me lasser de son effronterie.
Toutefois, la cara a cara [13] de nos chambrières eût pu être mésaisée sans la soudaine et inattendue advenue
de Lisette et d’Héloïse, lesquelles, Doña Clara Delfín de Lorca ayant quitté
tout soudain mon logis de Saint-Denis pour rentrer dans ses Espagnes, ne
voulurent point y demeurer seulettes et sans emploi : tant est qu’avec mon
agrément, elles vinrent en ma maison de la rue du Champ Fleuri grossir encore
mon domestique. Et elles m’apportèrent, en même temps que leurs faces
fraîchelettes et leurs riantes bouches, une lettre de Doña Clara qui n’était
point si gracieuse, il s’en fallait, la fin ne tenant pas les promesses du
début.
Monsieur,
Je ne laisserai pas que de vous garder une gratitude
éternelle de nous avoir recueillis, mon pauvre défunt enfantelet et moi-même,
lors du siège de Paris, faillant hélas à le sauver de la mort, mais me
retirant, du moins, des griffes de la faim. Depuis, abandonnée après mon
veuvage par ceux de ma nation, je n’ai dû qu’à votre très libérale et très
chrétienne hospitalité de survivre en ville et pays étrangers, attentant, quant
à moi, de vous être, en retour, de quelque usance, et assurant, maugré mon
rang, le ménage et le commandement de votre domestique. À quoi j’eusse mieux
réussi, si vous y aviez vous-même tenu la main davantage.
Mais votre excessive indulgence à l’égard de vos gens et en
particulier de vos chambrières, les disconvenables familiarités que vous leur
laissez prendre avec vous – vous contentant de rire de leurs impertinences
au lieu de les châtier –, la connivence que vous montrez sous votre toit
au coupable commerce de l’une d’elles avec M. de L’Étoile, en bref,
cette grande amour que vous leur montrez (à elles comme à toutes les femmes)
sans le moindre discernement de sang, de rang ni de savoir, ce qui fait que ces
sottes caillettes sont de vous raffolées (et pis même, si vous leur en donniez
occasion), tout cela m’a à la parfin persuadée que la tâche que j’avais
entreprise de régler votre domestique ne pouvait que faillir. J’ose vous le demander,
qu’est-ce qu’un logis où le maître est d’avance résolu à ne fouetter personne,
et quand il réprimande, le fait avec un sourire aimable et de cajolants
regards ?
De ces sourires, de ces regards, de ces compliments, à la
vérité, outrés, adressés à mes propres charmes, j’en ai eu, comme d’autres, ma
part, et me méprenant, de prime, sur leur sens véritable, ils m’ont fait
concevoir pour vous une extraordinaire amitié, qui n’a pu manquer d’être
cruellement déçue, quand vous vous êtes tout soudain remparé derrière votre
fidélité à Madame votre épouse pour refuser les liens auxquels vous m’aviez,
pour ainsi parler, appris à aspirer. Mieux même, quand vous avez
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