La pique du jour
cheveux se dressait comme un
serpent et qui fichait sur moi un regard médusant.
— Marquis, me dit-elle m’envisageant de côté de ses
yeux froidureux à sa bien particulière guise, c’était folie, à mon sentiment,
de laisser votre écuyer lancer son couteau contre ce vilain. S’il avait failli,
je perdais la vie.
— Madame, dis-je, je suis béant ! Si j’ai laissé
faire mon écuyer, c’est que je connaissais l’infaillibilité de sa main. Et d’un
autre côté, si j’avais accepté le barguin de ce truand, vous eussiez, à coup
sûr, perdu votre bien, et se peut ensuite et l’honneur et la vie.
— Je le décrois, dit-elle. Je doute même que le gautier
eût pu aller bien loin avec mon cabinet et moi-même, ce logis étant cerné.
— Nenni, Madame, dis-je roidement assez, il ne l’était
point. L’issue de derrière restait libre. Et de toute façon, si Malevault eût
été réduit dans sa fuite à sacrifier ou votre coffre ou vous-même, soyez bien
assurée qu’il n’eût pas sacrifié le coffre.
— Il vous plaît à dire, reprit M me de Saint-Paul,
d’un air piqué.
— Madame, dis-je après un instant de silence, je vous
ai, à vous ouïr, si mal servie jusque-là que j’ose à peine vous dire que j’ai
obtenu du duc de Guise que vous quittiez Reims librement, afin que de vous
retirer en toute ville que vous choisirez, et dans votre propre coche, avec vos
chambrières et sous la protection de mon escorte.
— En bref, je suis chassée ! dit M me de Saint-Paul
avec un air d’incroyable hauteur.
— Madame, dis-je en laissant percer dans mon ton
quelque ressentiment, je suis raffolé de votre émerveillable voix, mais je ne
sais si j’aime beaucoup de présent votre chanson : elle est trop
différente de celle qui m’a de prime charmé. Croyez-moi, il eût pu vous arriver
bien pis que de partir librement de Reims en emportant votre bien.
— Et en laissant le corps de mon bien-aimé mari gésir
nu et sans sépulture sur le pavé de la rue ! dit-elle, les yeux au ciel.
— Madame, dis-je, vous paraissez chérir votre mari,
mort, plus que vous ne l’aimiez, vif. Soyez toutefois à son égard tout à plein
rassurée. Le duc a commandé qu’on embaume son corps, qu’on le mette dans un
cercueil, et qu’on le porte dignement dans la ville que vous aurez choisie pour
votre retraite.
— C’est, me semble-t-il, dit-elle avec aigreur, le
moins que vous puissiez faire après votre lâche assassination…
— Madame ! criai-je, indigné, je n’ai pris aucune
part à cette meurtrerie.
— Du moins, dit-elle, y avez-vous été connivent.
— Mais Madame, dis-je à la fureur, ni plus ni moins que
vous, qui saviez très bien de quel parti j’étais, quand vous m’avez baillé la
clef, laquelle, ouvrant la porte de ma geôle, m’a permis de labourer de toutes
mes forces à délivrer Reims, M. de Guise et vous-même d’un tyran.
— Ha ! Monsieur ! dit-elle d’un ton outragé,
n’insultez pas un mort !
— Un mort, dis-je les dents serrées, qu’hier vous
appelâtes devant moi « un funeste faquin ». Mais Madame, je le vois
bien, les paroles volent, et les vôtres ont des ailes tant agiles et
s’éloignent de vous si vite que vous en perdez la remembrance, d’un jour à
l’autre, comme, de reste, de vos tendres amitiés, de vos ravissants regards, de
vos serrements de main… Je vous en tiens donc quitte. Et pour moi, sans vous
voir ni vous parler plus qu’il ne sera nécessaire, je vous escorterai demain à
l’aube comme je l’ai promis, là où vous voudrez aller.
— À Mézières, dit-elle froidureusement.
— À Mézières, donc, puisque votre bien-aimé défunt y
avait une citadelle et quelques troupes. Mais Madame, poursuivis-je,
permettez-moi encore un conseil : si le roi prend Laon, le duc
de Guise ne peut qu’il ne traite avec lui la reddition de Reims, et Reims
rendue au roi, Madame, et avec Reims, la Champagne, que deviendra Mézières, si
de vous-même vous ne rendez pas la ville à mon maître à temps ?
— Monsieur, j’y vais rêver, dit M me de Saint-Paul.
— Madame, en ce cas, rêvez vite. Quant à moi, il ne me
déplairait pas que le roi me baille le commandement de la troupe qu’il
dépêcherait le cas échéant pour prendre Mézières d’assaut.
Sur cette flèche du Parthe, sans un au revoir, ni un salut,
je quittai cette renarde en grinçant les dents et en serrant les poings, et
tant ivre
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