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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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n’y a pas été pipé ? Mais Barbu,
poursuivit-il avec cet enjouement qui le faisait aimer de tous, pense jà à la
prochaine belle qui te fera raison perdre. Il en est de l’amour comme de la
guerre : la fortune ne vous clôt jamais une porte qu’elle ne vous en
déclôt une autre.
    À quoi il rit, mais point aussi gaillardement qu’à
l’accoutumée, étant las, à ce que je crois, de son harassante journée et de sa
nuit interrompue.
    — Barbu, reprit-il, tu as bien labouré à Reims. Le
dépêchement de Saint-Paul vaut bataille gagnée, la Ligue perdant en lui un fort
bon capitaine, vaillant, rusé, expéditif. Il n’est grosses couilles que de
Lorraine, dit la chanson, mais les siennes étaient toutes espagnoles, et
d’autant à péril pour nous. Ce n’est pas à dire que le petit Guise, maintenant
qu’il a Reims, va me la laisser choir dans le bec sans barguigner, et sans attendre
ce qu’il en advient de Laon. Laon, Barbu, est la clef de tout. Si je prends
Laon, je n’aurai qu’à tendre ma gibecière pour qu’y tombent les villes de
Picardie, et bientôt Reims, et avec Reims les villes de Champagne. Tout réussit
à qui réussit.
    Sur ces mots il bâilla à se décrocher la mâchoire, étira ses
gambes musculeuses et, gai et gaussant jusque dans l’excessive fatigue, il dit
avec un sourire :
    — Assez jasé ! Mes membres sont de sommeil fort
aggravés, et il est temps que ma brève nuit me dorme. Barbu, bonsoir ! Je
te verrai demain.
    Ayant dit, il ferma l’œil dextre, puis le senestre et son
souffle s’alentissant, il s’ensommeilla tant vite qu’on eût dit qu’il avait
soufflé chandelle, me laissant émerveillé que son corps, comme le premier de
ses sujets, lui obéît si bien.
     
     
    Si, parlant d’Henri Quatrième, je devais faire l’éloge de la
figure de capitaine qu’il taillait à la guerre, je dirais qu’il était
par-dessus tout laborieux et vigilant, ne donnait jamais d’ordre qu’il n’eût
l’œil sur son exécution, se montrait ouvert à tous avis et conseils que lui
pouvaient bailler ses maîtres de camp, et cependant, le moment venu, tranchait
avec détermination, agissait avec promptitude, ne perdait pas cœur au milieu
des revers, et dans les dents des pires prédicaments, affichait une
inébranlable fiance en la victoire.
    Au combat, sachant que sa cavalerie s’encontrait meilleure
que l’espagnole, il lui donnait la part du lion, chargeant à sa tête avec une
intrépide impétuosité, tant est que son exemple multipliait l’audace des
gentilshommes qui suivaient sa fortune. Mais il montrait aussi une tête froide
et réfléchie dans l’usance qu’il faisait de ces canons, sachant
émerveillablement les placer, et dans les sièges, et dans les batailles. Dans
l’art de la fortification, et en particulier pour circonder une ville, il
était, à ce que j’opine, sans égal, se mettant les pieds en sang, comme on l’a
vu, à courre de l’aube à la nuit les tranchées, afin que de les approfondir,
corriger les détours et retours, ménager les escarpes et les contrescarpes,
creuser les mines et les contremines, hausser les redoutes pour protéger les
enfilures, orienter au mieux les embrasures pour bien loger ses canons et les
défiler aux vues de l’ennemi ; et enfin, je le dis en dernier, combien que
ce ne soit pas là le moindre de ses mérites, autant il était brave dans
l’action, autant il était clément dans la victoire, se montrant toujours prêt à
prendre langue avec l’assiégé, à lui faire les conditions les plus douces, à
laisser saillir hors les affamés (comme il avait fait pendant le siège de
Paris) et s’attachant, la ville prise, à passer la bride à ses soldats afin de
prévenir les roberies, les meurtreries et les forcements.
    Les Grands, accoutumés aux largesses parfois excessives de
mon pauvre bien-aimé maître Henri Troisième, affectaient de trouver son
successeur ingrat et chiche-face. Ha ! lecteur ! Que cela est faux et
malivole ! Henri donnait moins de pécunes, en effet, à ses insatiables
Grands (lesquels, tant plus il les obligeait, tant plus ils lui faisaient
d’écornes), mais davantage à ses soldats invalides, leur servant pension
jusqu’à leur mort pour les conforter d’avoir perdu, qui un bras, qui une gambe,
à le servir, étant le roi le plus soucieux de son peuple qu’on vît jamais. J’en
veux pour preuve cette très émerveillable remarque qu’il fit le soir de la
bataille

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