La pique du jour
d’Ivry à un de ses officiers qui quérait de lui s’il était content
d’avoir battu la Ligue. Henri, secouant la tête, répondit tristement :
— Nenni, nenni. Je ne peux me réjouir de voir mes
sujets étendus morts sur la place : je perds lors même que je gagne !
Comme son prédécesseur, Henri excellait dans la diplomatie,
et ouverte, et secrète. La première, je l’abandonne aux chroniqueurs et à ceux
qui s’y sont mêlés. La seconde, je n’en peux faire l’éloge sans paraître me
rincer la bouche de mes propres louanges. En revanche, je peux dire céans ce
que je n’ai vu imprimé nulle part : Henri, pour s’éclairer sur les
desseins de ses ennemis, savait admirablement user, et des batteurs d’estrade,
et des espions.
Sachant que Mayenne avait établi son camp à La Fère –
laquelle ville se trouve à une demi-journée de cheval de Laon – Henri
s’obligeait, qui qu’en groignât, à envoyer chaque jour l’un des principaux de
son armée battre l’estrade en cette direction avec de très forts escadrons de
cavaliers. Mieux même, pour montrer l’exemple aux Grands, il prenait son tour
de cette quotidienne reconnaissance, laquelle se donnait pour but de surprendre
les surprises de l’adversaire. À quoi, nous ne faillîmes pas, repoussant par
deux fois des troupes ligueuses qui, parties de La Fère, attentaient de jeter
dans Laon des hommes, des viandes, et des munitions.
Quant aux espions, non seulement Henri savait les choisir,
mais les dépêchant en même lieu à l’insu l’un de l’autre, et au retour leur
prêtant l’ouïe séparément, il excellait à confronter leurs témoignages, afin
que de trier le vrai du faux, ou à tout le moins, le probable de l’incertain.
Tandis que j’écris ces lignes, belle lectrice, je sens derrière
mon épaule votre présence, hélas, impalpable et voici que me poussant du coude,
vous me dites d’une voix plaintive :
— Hé quoi, Monsieur ! Encore un récit
guerrier ! Vous savez bien, pourtant, que la guerre, où mon doux sexe, la
Dieu merci, ne figure point…
— Sauf, dis-je, dans les prises de ville comme
innocentes victimes des forcements…
— Monsieur, de grâce, ne me coupez point ! La
guerre, dis-je, n’a pas le même attrait pour moi que vos aventures
personnelles. Je ne vous cacherai pas qu’elles ragoûtent peu mon très sensible
cœur, lequel s’émouvant jà d’un souriceau déchiré par la griffe d’un chat, se
détourne avec dégoût du dépêchement de tant d’hommes.
— Hé ! Madame ! dis-je, bien le sais-je et
bien marri vous m’en voyez ! De grâce, toutefois, considérez que le
portrait que j’attente de faire de notre temps ne saurait être peint aux
couleurs de la vérité, si j’omettais ces moments où la fortune de France, que
dis-je ? son existence même, furent jetées dans la balance en une seule
bataille.
— Monsieur, vous êtes un régent rabâchant ! Vous
m’avez mille fois expliqué l’état de ce royaume. J’en ai l’oreille tympanisée,
la tête farcie et l’entendement gourd. Je sais, je sais par tous les
saints ! Si Henri ne prend pas Laon, Paris est ouverte à l’invasion
étrangère !
— Et vous-même, Madame, aux brutalités
espagnoles ! Hé ! Madame ! Maugré mes faiblesses pour vous,
laissez que je vous tance à la parfin ! Ne prenez pas, de grâce, le
présent prédicament tout à l’étourdie ! Il en serait à tout jamais fini de
vos aises en Paris, de vos bonnes repues, de vos commodités, de votre quiétude,
de votre honneur aussi, si le roi et une poignée de ses sujets loyaux
n’arrachent la victoire à l’ennemi sous les murs de Laon…
Tout se traîne à la guerre et tout, soudain, se précipite.
Nous fûmes trois mois à poursuivre le siège, à nous tenir en aguet, à dépêcher
nos espions à La Fère, à battre l’estrade à l’alentour de Laon, laquelle ne se
rendait pas, espérant l’advenue de Mansfeld, mais de Mansfeld point. Il est
vrai que depuis le règne papelard et paperassier de Philippe II,
l’Espagne, de vive qu’elle était, s’est beaucoup alentie : non qu’on ait
su pourquoi Mansfeld délayait tant. Se peut qu’il attendait une lettre de son
maître et que cette lettre n’arrivait point. Se peut que Mansfeld, ayant un œil
sur les gueux de Bruxelles, ne voulait point ficher l’autre sur Laon, de peur
de loucher – ou de perdre une ville sans gagner l’autre. Se peut aussi
qu’ayant
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