La pique du jour
si longue file n’était point une armée qui
marchait en corps, mais quantité de chariots portant vivres, poudres et
munitions, lesquels étaient escortés par environ seize cents piquiers et
lansquenets, tous portant sur le chef la salade espagnole, et précédés, à ce
qu’il s’apensait, par quatre cents chevaux pour le moins.
Les nombres étant, semblait-il, égaux à peu près, il fut
décidé d’attaquer mais il y eut grande dispute entre nos chefs sur la manière
de l’attaquement, les uns opinant qu’on laissât entrer les ennemis dans la
forêt, afin que de leur couper retraite et de leur taper sur la queue, les
autres voulant, avant qu’ils entrassent, les charger à la tête, à laquelle
marchait leur cavalerie, pour ce que, arguaient-ils non sans raison, une charge
de chevaux à travers l’entrelacis d’une forêt ne se pouvait accomplir.
Ceux qui argumentaient de la sorte se nommaient Givry,
Montigny et Marivault et commandaient nos chevaux, et leurs raisons étaient si
évidemment bonnes qu’elles persuadèrent à la parfin le maréchal de Biron ;
il fut donc fait comme ils avaient dit. À l’orée du bois où nous nous trouvions
cachés, on se mit en selle silencieusement assez, et tout soudain on déboucha à
découvert, on se mit au grand galop, l’estoc pointé, sus à leurs cavaliers et
les surprit, alors qu’ils cheminaient au pas. Toutefois, ils vinrent au combat
bravement, et la mêlée fut âpre, mais peu longue, non par défaut de vaillance,
mais parce que leur adresse à cheval ne valait pas la nôtre, tant est qu’ils se
débandèrent, mais sans fuir véritablement, se repliant des deux côtés de leurs
chariots, leur infanterie, à cette vue, se mettant en ordre avec une
promptitude admirable, et tirant si furieusement et si bien qu’elle nous força
à nous mettre hors portée.
M. de Biron, écumant de colère, et son œil noir
jetant des flammes, nous commanda d’enfoncer cette infanterie par le flanc
gauche, et que quant à lui, Tudieu ! pour nous montrer le chemin du
devoir, il l’allait avec ses chevaux enfoncer sur le flanc droit :
éperonnés par ses reproches et son exemple, nous chargeâmes alors, et si bien
que le reste de la cavalerie ennemie se mit à vauderoute, mais non les hommes
de pied qui se retirèrent entre les chariots, secondés par les piquiers et les
mousquetaires, lesquels se mirent en hérisson et tirèrent tant de salves et si
meurtrières qu’à la parfin nous n’en voulûmes plus manger.
Voyant quoi, M. de Biron fit avancer son
infanterie, qui suisse, qui française, laquelle attaqua vaillamment ledit hérisson
et fut de lui si bravement reçue qu’elle ne le put forcer du tout, le
chamaillis se prolongeant tant et tant que M. de Biron, craignant que
la longueur de l’attaquement permît au gros de l’ennemi de nous tomber sur le
dos avec des forces supérieures, décida de faire démonter toute sa
cavalerie – tu as bien lu, lecteur ! – et de la faire combattre
à pied, le pistolet dans un poing, et l’estoc dans l’autre.
Ce que nous fîmes, M. de Biron donnant le premier
l’exemple, tout maréchal de France qu’il fut, et l’inouïe nouveauté de la chose
nous exaltant et frappant de stupeur les Espagnols, nous les attaquâmes à six
cents avec une telle impétuosité et de tant de côtés à la fois que, leurs
piques devenant inutiles, on en vint au corps à corps, nous battant pour ainsi
dire de collet à collet, et avec tant de fureur qu’à la parfin ils se
débandèrent et s’ensauvèrent dans le bois, et tant la tuerie fut grande alors,
en cette désordonnée retraite, qu’ils laissèrent douze cents des leurs sur le
terrain.
M. de Biron, remontant à cheval, et craignant
toujours que le gros de l’ennemi, prévenu, nous submergeât si l’on se
dispersait, hucha que personne ne poursuivît les fuyards sous peine de vie et
réussit à rassembler son monde, mais faillit à empêcher la pillerie des
chariots, ni que la plupart des vivres ne fussent enlevés, gâtés et gaspillés
par nos gens, lesquels en firent en quelques coups de glotte des ventrées
incroyables. Entre autres images qui demeurent en ma remembrance de cette
picorée, je me ramentois mon gros Poussevent dont le sang pissait sur le front
et le nez du fait d’une entaille au cuir chevelu et qui, insoucieux de cette
navrure (à vrai dire peu griève, mais fort saigneuse), s’était emparé d’une
énorme motte de beurre, et y
Weitere Kostenlose Bücher