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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de se remettre en selle,
moi-même le suivant, et d’aller chercher l’ombre au plus touffu et au plus
frais de la grande forêt de Laon à La Fère. Et là, cheminant au pas entre les
arbres, les brides lâches sur le cou de nos chevaux, nos fraises défaites, et
nos pourpoints déboutonnés, et sans dire mot ni miette, tant la chaleur, même
sous le couvert du feuillage, nous accablait, tout soudain nous ouïmes un grand
bruit de voix confuses, entrecoupées de huchements de personnes qui
paraissaient s’entre-appeler, lesquels cris étaient entrecoupés de
hennissements de chevaux. Craignant que les nôtres ne leur répondissent, nous
démontâmes et, confiant nos montures aux valets, nous avançâmes à pas de chat
dans la direction de cette grande noise, laquelle grandit comme nous
approchions, tant qu’enfin nous aperçûmes en contrebas, à travers le feuillage
(sous le couvert duquel nous cheminions) le grand chemin de La Fère à Laon, et
sur ce chemin progressant en bon ordre une interminable colonne de fantassins,
portant sur le chef la salade espagnole lesquels marchaient très à la
silencieuse, j’entends sans bourdonnements de tambours ni fanfarements de
trompettes. Toutefois, il s’en fallait que l’artillerie qui suivait fût aussi
discrète, les charretiers criant « hay » à gorge rompue et faisant
claquer leurs fouets, lesquels claquements retentissaient haut et fort dedans
le bois.
    — Tudieu, Siorac ! s’écria M. de Rosny
(seule occasion, à ma connaissance, où ce bon huguenot jura le saint nom du
Seigneur), il est plus que temps que nous nous tirions de ce bois, si nous ne
voulons point y laisser nos bottes ! Et le roi tudieu ! Le roi qui ne
se doute de rien ! Courons, Siorac, courons !
    Là-dessus, tant lentement que nous étions venus, tant lestes
nous fûmes à détaler, nous mettant en eau à courre jusqu’aux chevaux, puis nous
jetant en selle, galopant à brides avalées jusqu’à la métairie de Saint-Lambert
où nous trouvâmes au verger le roi bien réveillé, en train de courber de la
main un prunier et d’en cueillir les fruits dont il avait plein les joues,
plein les mains et à ce que je crus voir aux bosses de son pourpoint, plein les
poches.
    — Pardieu, Sire ! s’écria Rosny, en jurant tant il
était hors de lui, nous venons de voir passer, venant de La Fère, des gens qui
nous préparent bien d’autres prunes que celles-ci, et bien plus dures à
digérer !
    — Qu’est cela ? Qu’est cela ? dit le roi qui
considérait avec étonnement notre aspect échevelé et déboutonné, tandis qu’il
nous distribuait comme machinalement les prunes qu’il venait de cueillir,
lesquelles, tant nous mourions de soif, nous nous mîmes tous, maugré la gravité
de l’heure, à gloutir à belles dents, le jus nous dégoulinant des lèvres, et
lecteur, à ce jour encore, j’en sens encore le goût délicieux dedans ma bouche,
ces prunes-là étant assurément les plus belles et les plus savoureuses que
j’aie jamais mangées.
    — Qu’est cela ? répéta le roi, nous voyant tous
réduits au silence par le mâchellement des fruits. Qu’est cela ? dit-il en
saisissant M. de Rosny par le bras.
    — Ha ! Sire ! dit M. de Rosny
avalant la prune qu’il avait en bouche (et aussi le noyau, à ce qu’il me dit
plus tard), nous venons de voir passer sur le grand chemin de La Fère à Laon, à
tout le moins, toute l’armée ennemie !
    — Ventre Saint-Gris ! s’écria le roi, en êtes-vous
sûr ?
    — Sire ! Certains ! crièrent d’une seule voix
Rosny et moi-même. Nous l’avons vue de ces yeux que voilà !
    — Ha ! Givry ! Givry ! cria le
roi ! Ha ! mes batteurs d’estrade ! Faillir à ce point en leur
mission ! Sans vous j’étais surpris ! Holà ! Des chevaux !
Des chevaux !
    Sur quoi, sa monture lui étant amenée, il bondit en selle,
mit au grand galop dans la direction de son camp, criant à tous ceux qu’il
encontrait de s’armer et de le joindre à son quartier. Il allait si vite qu’il
distança toute sa suite, hormis Rosny, moi-même et quelques autres dont les
montures valaient la sienne et qui vinrent le flanquer de dextre et de
senestre, afin qu’une arquebusade, tirée de côté, ne pût l’atteindre. Nous
voyant, et toujours galopant, mais point si vite, le roi ramassa les rênes en
une seule main, et tirant de la pochette de son pourpoint un papier sur lequel
il avait inscrit les logements de son armée,

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