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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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crochant ses deux mains noires de poudre, la
gloutissait à gueule bec, sans même l’accompagner de pain (lequel, pourtant, ne
manquait pas en ces chariots) tant est qu’il s’en tantouilla tout à plein la
face, laquelle devint en un battement de cil, un assez peu ragoûtant mélange et
de beurre et de sang.
    À la parfin M. de Biron réussit à nous rameuter et
à nous ramener en bon ordre au camp où nous entrâmes, fort contents de nous, la
queue droite comme chiens courants de retour de curée, et par le roi, à notre
advenue, accolés, caressés, cajolés et loués, comme lui seul le savait faire,
n’étant pas chiche de cette monnaie-là. Il est vrai que l’autre lui faillait
fort, son trésorier, M. d’O (demeuré en Paris tant parce qu’il en était
gouverneur que parce qu’il pâtissait d’une rétention d’urine), ne lui envoyant
ni pécunes ni vivres. Vous pensez bien, lecteur, que M. de Biron fit
au roi devant nous tous un conte épique, où il rafla pour lui tous les lauriers
et mêla à sa râtelée tant de vanités, vanteries, forfanteries et jactances
qu’il apparut qu’il avait quasiment vaincu l’ennemi à lui seul : ce qui
fit sourciller plus d’un (et d’autres de rire sous cape), et, encore qu’il se
gardât de le montrer, donna de l’humeur au roi, qui commençait, comme j’ai dit
jà, à s’inquiéter de l’outrecuidance de son maréchal.
     
     
    — Eh bien, Madame, avez-vous tant langui à ce récit
guerrier, lequel, à dire le vrai, n’est pas fini ?
    — Non, Monsieur. Toutefois, le cœur me point au
pensement de tous ces morts, et en particulier de ce millier d’Espagnols.
    — Cornedebœuf, Madame ! Pourquoi eux, en
particulier ?
    — Pour ce qu’ils ont laissé leurs bottes si loin de
leur patrie, et par surcroît de honte abandonnent leurs pauvres corps en pâture
aux corbeaux.
    — Madame, la faute n’en est pas à nous, qui leur
défendons notre sol, mais au roi d’Espagne, qui, ayant mis, grâce à la Ligue,
le doigt dans le pâté France, le voudrait maintenant tout gloutir.
    — Je vous entends, mais en revanche je n’entends pas si
bien votre parladure de soldat. Qu’est-ce que cette estrade que battent vos éclaireurs ?
    — L’estrade, Madame, est la strada italienne
francisée. Nos éclaireurs battent l’estrade quand ils parcourent les
chemins à l’alentour pour découvrir l’ennemi.
    — La grand merci. Monsieur, un petitime reproche,
pourtant, pour finir.
    —  In cauda venenum [14] .
    —  Ce venin-là n’est point méchant. Monsieur,
pourquoi tant flattez-vous notre aimable sexe ? Pour ma part, on ne laisse
pas de me persuader que je suis loin d’être vilaine, mais cuidez-vous vraiment
que toutes vos lectrices soient belles ?
    — Oui, Madame. Je l’affirme : elles sont belles,
au moins le temps qu’elles me lisent.
    — Comment l’entendez-vous ?
    — Mais, Madame, comme vous.
    — Babillebahou ! Est-ce répondre que cela ?
Mais de grâce, un mot encore. Pourquoi parlez-vous si peu de présent de votre
Angelina ? Et pourquoi ne vous vient-elle pas visiter en Paris ?
    — Hé ! Madame ! Vous touchez là un point
sensible !
     
     
    Le lendemain de ce victorieux combat, le roi me fit appeler
un peu avant son conseil, et à sa manière mi-gaussante mi-sérieuse me tança
d’avoir pris part à l’action.
    — Barbu, me dit-il, tu es étourdi comme un
hanneton : qu’avais-tu à te fourrer dans cette échauffourée ? Belle
gambe cela m’eût fait que tu te fasses tuer sous Laon, ayant pour toi meilleure
usance que d’échanger des buffes et torchons avec les Espagnols ! D’autant
que j’ai le dessein de te dépêcher en Paris, dès que je n’aurai plus Mansfeld
sur le poil.
    — Hé quoi, Sire, dis-je, Mansfeld ? Après qu’il a
perdu tant de monde et un si grand convoi, Mansfeld en veut-il encore
manger ?
    — Il se pourrait, dit Henri, l’air soucieux assez.
    Et là-dessus, comme les membres de son conseil pénétraient
sous sa tente, et que je faisais mine de me retirer, il me fit signe, à mon
très grand étonnement, de demeurer.
    — Messieurs, dit-il, ce matin, à la pique du jour, j’ai
ouï, séparément, deux de mes espions et leurs informations concordent :
tant s’en faut que Mansfeld et Mayenne aient perdu cœur de leur revers. Ils
veulent, bien au rebours, s’en revancher, en leur dépit, marcher contre nous
avec leur gros et nous faire lever le siège de vive

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