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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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soupentées où dorment les chambrières.
Chacune a la sienne, ce qui est tenu par elles à grand luxe et délices pour la
raison qu’il est des hôtels de la noblesse où elles couchent à trois dans le
même lit. Je vous laisse à penser la sorte de sommeil que les pauvrettes y
trouvent !
    Comme toutes les salles du deuxième étage sont en enfilade,
j’ai choisi au deuxième pour ma chambre celle qui donne sur le viret, afin que
d’en pouvoir saillir hors, sans avoir à passer par la chambre qui jouxte la
mienne et qui est occupée par M. de La Surie. J’ai logé Louison
juste au-dessus de moi au troisième étage, afin qu’elle puisse jouir du même
viret, commodité que nous partageons, comme aussi parfois nos sommeils.
    Sur l’arrière de la maison se trouve un jardin grandelet
assez (pour Paris s’entend) entouré de murs et j’ai fait rehausser celui qui
donne sur la rue du Chantre pour la raison que j’ai dite plus haut. Quant à la
petite porte piétonne en plein cintre qu’on y voit, je l’ai fait façonner en
chêne très épais, et si bien aspée de fer qu’il faudrait au moins un pétard de
guerre pour en venir à bout.
    Le jardin est très bien cultivé en potager. Et en appentis
sur le côté du mur mitoyen exposé au sud, on trouve un poulailler, des
clapiers, un bûcher, une remise pour les outils et un logement pour le
jardinier. Au plus près de la maison, on découvre la margelle d’un inépuisable
puits qui donne une eau fort claire et fort bonne, sans laquelle je n’eusse
jamais acquis cette maison pour la raison que je tiens pour un dangereux poison
l’eau de la rivière de Seine dans laquelle les riverains de la capitale
déchargent bren, pisse et immondices, sans compter les cadavres des gens
traîtreusement occis qu’on y voit quotidiennement flotter.
    Le maître de ce jardin, et aussi des feux de la
maison – car c’est lui l’hiver qui garnit les cheminées en bûches, les
allume, les entretient et les nettoie – est le « pauvre
Faujanet » (prononcez Faujanette à la mode périgordine) qui était à
Mespech notre tonnelier. Mon père me l’a donné, quand l’âge a commencé à lui
rendre malaisée la pratique de son métier, et j’oserais dire qu’il est fort
heureux chez nous, sauf qu’il ne met jamais le pié hors, étant fort effrayé par
une ville si grande et si vacarmeuse. Le « pauvre », dans
l’expression « mon pauvre Faujanet » est une traduction du paure occitan et contient une nuance d’affection à laquelle l’intéressé est fort
sensible, à telle enseigne que, l’ayant un jour par mégarde appelé
« Faujanet » tout court, le « pauvre » quit de moi, l’œil
inquiet et la lèvre trémulente : « Moussu, vous aurais-je en rien offensé ? »
    Faujanet a peu à se glorifier dans la chair, étant noiraud
de peau, blanc de poil, petit, estéquit et louchant quelque peu d’une gambe,
une balle à Cérisoles ayant couru plus vite que lui : raison pour quoi,
étant ancien soldat des armées de François I er , il est respecté
assez, maugré son âge, par Pissebœuf et Poussevent qui parlent d’oc aussi,
quoique un oc un peu différent, étant gascons et je les ai ouïs se livrer à
trois, assis en rond au jardin, pétunant dans de longues et noires pipes, à des
joutes de récits épiques.
    Faujanet est aimable comme on ne l’est qu’en Périgord, et
dès qu’une chambrière s’approche du puits pour remplir une bassine, il accourt
à rescous en clopinant, et mettant en branle la pompe de la main dextre, il
pastisse de la main senestre les arrières de nos mignotes – ce que
celles-ci souffrent sans rebéquer, tant il leur paraît honnête de permettre
cette petite privauté à qui les soulage d’un labour.
    J’ai balancé à lui permettre d’élever des poules comme quasi
le font tous les Parisiens, pour ce que je craignais d’être désommeillé à la
pique du jour par le coq, mais ayant observé que je l’étais de toute guise par
ceux de mes voisins, et au surplus dès six heures, par toutes les cloches des
églises avoisinantes, tintamarrant l’une après l’autre en la plus infernale
noise, j’ai cédé à sa prière, à condition que le poulailler et les clapiers aux
lapins fussent bâtis au fin bout du jardin.
    Encore que je les aime prou, j’eusse préféré, en raison de
leurs incessants aboiements, me passer des dogues, mais tant d’hôtels de la
noblesse en Paris ont été nuitamment

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