La pique du jour
amène à
subir et le fouet public, et le cachot. Comme j’ai dit jà, je ne soumets pas
mes gens à ces châtiments-là. Mais Thierry et Luc sont de bonne maison, étant
issus de parents nobles, lesquels me sauraient fort mauvais gré de leur
épargner la baguette. Interdiction étant faite à nos deux coureurs de cotillons
de faire les zizanieux avec nos chambrières, ils volètent en leurs moments de
loisir dans la rue du Champ Fleuri et les rues circonvoisines. Et j’ai ouï dire
qu’ils ne laissent pas d’y trouver qui-cy qui-là d’accueillantes corolles.
Puisque nous sommes sur ce chapitre, j’aimerais avouer ici
que je n’ai jamais bien entendu pourquoi notre sainte religion attachait un tel
prix à la chasteté, laquelle est si éloignée des voies de la Nature qu’il est
quasi impossible de se soumettre à ses exigences. Tant est qu’à la parfin, il y
a deux morales, l’une que l’on professe dedans l’Église, et l’autre que l’on
pratique hors l’Église, et parfois sans aller plus loin que le presbytère…
J’ai toujours observé que la continence rend les gens amers
et marmiteux, griffus souvent, impiteux parfois au prochain. Aimant, quant à
moi, être entouré de faces gaies, je ferme l’œil sur bien des choses qui
eussent fait sourciller l’oncle Sauveterre. Mais quoi ! comme disait Cabusse,
« c’est par trop brider la pauvre bête ! ».
Le lecteur, se peut, se ramentoit qu’Héloïse s’étant
présentée à moi pendant le siège de Paris quasi mourante de verte faim, j’avais
cédé aux sollicitations de Pissebœuf, Poussevent et Miroul qui avaient autant
appétit à elle qu’elle avait appétit à partager notre pain. Cependant, Miroul,
la paix revenue, étant anobli par le roi et devenu
M. de La Surie, avait estimé que M. de La Surie
ne pouvait, comme Miroul, se contenter de grappiller la même grappe que ses
valets. Et dès notre retour de Reims, Guillemette étant inconsolée de l’advenue
de Louison, il avait su la persuader qu’à défaut d’un marquis, elle se pouvait
contenter d’un écuyer. Quant à Lisette qui, comme on s’en ramentoit, fut
pendant le siège en grand danger d’être forcée, égorgée, rôtie et mangée par
des lansquenets, je ne l’ai prise à mon service, comme bien sait le lecteur, et
comme Doña Clara me le reprochait souvent, que pour accommoder mon grand et
intime ami, Pierre de L’Étoile.
Si le lecteur veut faire avec moi le compte de mes
servantes, il arrivera au chiffre de six : Héloïse, Lisette, Guillemette,
Louison, Mariette et Greta. Et pour les hommes au chiffre de huit :
Faujanet, Pissebœuf, Poussevent, Franz, Caboche, Lachaise et mes deux pages,
Thierry et Luc. J’entends bien que mon lecteur va trouver que mon domestique,
montant à peine à quatorze personnes, est assez peu étoffé pour un marquis.
Cela est vrai. Mais j’ai souvent observé que tant plus un gentilhomme avait de
serviteurs, tant plus mal il était servi. Et je m’encontre fort hérissé, quant
à moi, de voir dans les hôtels de la noblesse ce pullulement de laquais
effrontés qui ne sont là que pour la montre et la vanité, et qui, loin de
contribuer au bon ménage du service, ne font, bien au rebours – comme les
inutiles bourdons d’une ruche –, que le gêner par leur nombre, leur
balourdise et leur paresse.
Chacun, en mon logis, a son office, ses devoirs et son
capitaine. Franz commande en ma demeure aux serviteurs du dedans.
M. de La Surie aux serviteurs du dehors. Pour moi qui suis le
roi en ce petit royaume, je juge, en dernier ressort, les délits. Mais ma
clémence est à la mesure de mon pouvoir qui est immense, puisque je peux, en
désoccupant ces pauvres gens, les condamner quasiment à la famine. C’est
pourquoi Franz ou M. de La Surie ayant parlé aux délinquants,
avec de grosses dents et un front sourcilleux, je peux me permettre, moi, quand
ils comparaissent devant moi, pâles et trémulents, de les réprimander, comme
disait non sans exagération Doña Clara, avec « un sourire aimable et de
cajolants regards ».
Il est vrai qu’elle n’avait en l’esprit que les chambrières,
dont sa jaleuseté avait pris ombrage. Mais encore qu’affectant un autre ton
avec les hommes, je ne suis pas avec eux plus escalabreux, opinant comme le roi
mon Maître « qu’on attrape mieux les mouches avec une cuillerée de miel
qu’avec vingt tonnes de vinaigre ». Je n’ai, de reste, pas observé que
Weitere Kostenlose Bücher