La pique du jour
attaqués et pillés par les mauvais garçons
de la cour des miracles (parfois avec mort d’hommes et forcement de filles)
que, pour donner l’éveil, j’en ai acquis trois qui sont grands quasi comme des
veaux et féroces assez. Je les tiens à l’attache le jour, mais les détache la
nuit, un dans la cour pavée, et deux dans le jardin. Pour les mêmes raisons,
mes gens, moi-même et M. de La Surie, ne dormons jamais que nous
n’ayons à notre chevet armes blanches et pistolets chargés.
Quand j’ai bouté hors mon logis le funeste Bahuet, j’ai
gardé à mon service son cuisinier, l’Auvergnat Caboche, lui trouvant bonne
face, bonne lippe et bonne bedondaine. Le rôt et le pot qu’il nous cuit ont tenu
les promesses de son apparence, et dès qu’il fut certain que je l’allais
garder, il a quis de moi d’engager sa femme, Mariette, pour l’aider et l’aiser,
et aussi pour « aller à la moutarde », comme on dit en Paris. À quoi
elle excelle, étant fort bonne barguigneuse et ménagère de mes pécunes, autant
qu’elle l’est des siennes. Mariette est petite assez, mais l’épaule carrée, le
poitrail profond, le tétin dur, l’œil noir, la dent belle et la bouche fort
large, dont jaillit un torrent de paroles véhémentes quand elle querelle un
chaircutier ou un boucher sur sa pesée.
J’ai peu l’usance de ma coche, mais prou de mon chariot, le
dépêchant quand et quand pour quérir du fourrage au proche quai au foin (ainsi nommé parce que de grandes barques venant des villages d’amont et
descendant la rivière de Seine, apportent quotidiennement leur provende aux
cent mille chevaux de Paris). Et Caboche, me faisant observer que pour dégager
mon chariot sans dol ni dommage des épouvantables embarras de Paris, il me
fallait un bien autre homme qu’un cocher de bric, de broc et de raccroc comme
Poussevent, je ne manquais pas d’en tomber d’accord, tant est qu’il me présenta
un sien cousin nommé Lachaise, fraîchement advenu de son village d’Auvergne,
lequel, étant grand et herculéen, menait ses lourds chevaux de trait, me dit
Caboche, « comme un attelage de papillons », et claquait son fouet
avec une émerveillable adresse, et pas seulement sur ses chevaux : talent
précieux en Paris où les cochers sont de fort querelleux coquins. J’engageai
Lachaise, dès que j’eus jeté l’œil sur lui.
La Montpensier ayant par caprice ou méchantise (ou les deux
à la fois) jeté à la rue son géantin laquais lorrain Franz (dont le lecteur se
ramentoit qu’il m’avait sauvé des sanguinaires attentements de sa maîtresse, en
merciement de quoi je l’avais nourri durant le siège de Paris), je l’engageai
incontinent, ainsi que sa liebchen, Greta. Il fait pour moi quasiment
office de majordomo, mais uniquement en ma demeure, son autorité ne
s’étendant ni sur le jardin ni sur les écuries, la raison en étant qu’elle ne
serait pas acceptée de Faujanet, ni de Pissebœuf ni de Poussevent, pour ce que
Franz n’est pas ancien soldat, et ne parle pas d’oc, étant lorrain. Mais il
fait merveille avec les chambrières, étant avec elles tout ensemble poli, ferme
et incorruptible, sa fidélité à Greta le cuirassant contre les souris, les
mines et les moues. Je l’ai logé avec sa femme dans l’ancienne Aiguillerie,
laquelle fait face, comme j’ai dit, à ma porte cochère dans la rue du Champ Fleuri,
et à la nuit, il se rempare fortement, étant bien garni par mes soins de
mousquets et d’armes blanches. En outre, mes deux pages couchent au
rez-de-chaussée de la même Aiguillerie, et l’un et l’autre, tout béjaunes
qu’ils sont, ont prouvé sous les murs de Laon combien ils étaient vaillants et
expéditifs.
Il leur faudra l’être prou, et Franz aussi, si les marauds
nous donnent une nuit l’assaut pour nous piller, car l’ancienne Aiguillerie me
tenant lieu, pour ainsi parler, de poste avancé, c’est eux qui prenant ces
vaunéants à revers échangeront avec eux les premières mousquetades.
Guilleris ayant encontré la mort en la bataille d’Ivry et
Nicolas m’ayant quitté peu après pour assister sa mère, devenue veuve, dans le
ménage de sa terre, ces deux pages que j’ai dits, Thierry et Luc, sont nouveaux
en mon emploi, et pour la beauté, la turbulence, l’effronterie et l’appétit au
sexe, ils valent bien leurs prédécesseurs. M. de La Surie a sur
eux la haute main, laquelle, à l’occasion, s’appesantit sur eux et les
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