La pique du jour
la
baguette et le cachot, exigés de moi par leurs parents, aient beaucoup tempéré
mes pages. Tout le rebours. Michel de Montaigne me dit un jour à Blois que,
visitant un collège, il n’y avait ouï que « cris, et d’enfants suppliciés,
et de maîtres, enivrés en leur colère, les guidant d’une trogne effroyable, les
mains armées de fouets ». Pas plus que lui je ne crois en la vertu du
bâton. Et quant à mes enfants en Montfort l’Amaury, plutôt que de les jeter en
ces infernaux collèges, je les ai fait nourrir aux lettres en ma demeure par
des régents humains.
Je ne donne pas à mes gens des gages plus élevés que dans
d’autres maisons mais je les en garnis au moins tous les mois, tenant pour un
infâme abus de ne leur pas verser un liard des années durant, comme font en ce
royaume tant de hauts seigneurs et de chrétiennes dames, arguant qu’il n’est pas
besoin de leur graisser le poignet, puisqu’ils se le graissent de soi en nous
volant. Mais n’est-ce pas justement les pousser aux quotidiens larcins que de
les réduire à cette extrémité que de ne pas avoir un seul sol en l’escarcelle,
leur donnant au surplus l’exemple du malfait en ne leur baillant pas leur
dû ?
Ce qui me rebèque et m’aggrave, touchant mes gens, ce n’est
point tant leurs gages, que je tiens à petit débours, ni leur envitaillement en
munitions de gueule (faisant venir celles-ci pour la plus grande part de ma
seigneurie du Chêne Rogneux) mais l’obligation où je suis de les vêtir en
ruineuses livrées à mes couleurs, galonnées d’or et chamarrées, et de me faire
suivre d’eux partout et en particulier au Louvre, où je serais fort déprisé si je
venais seul. Le roi me donne-t-il jour, pour un entretien qui va durer cinq
minutes, je ne peux que je n’aille jusqu’à sa porte avec
M. de La Surie, Thierry et Luc, Pissebœuf et Poussevent,
Lachaise et Franz, tous en leurs rutilantes vêtures. Et encore ne serait-ce que
bien peu pour un marquis qu’une suite de sept hommes, si par bonheur Franz et
Lachaise n’étaient si géantins qu’ils compensent, pour ainsi parler, en hauteur
ce que mon escorte défaut en longueur.
Voici, lecteur, le portrait de ma maison de ville, la
nomenclature de mon domestique, et je l’ose ainsi appeler, la philosophie de
mon ménagement. Je ne suis pas sans apercevoir que ce tableau serait plus
touchant si mon épouse et mes enfants y figuraient. Leur éloignement a été de
prime voulu pour leurs propres sûretés pour la raison que depuis
l’établissement de la tyrannie des Seize en Paris, je n’y ai pu mettre
le pié que sous une déguisure. Mais l’entrée du roi en Paris, encore qu’elle
rendît possible son retour, n’a pu engager Angelina à revenir en la capitale,
se peut parce que l’estrangement qui s’est creusé entre nous après la mort de
Larissa n’a pu se combler tout à plein – le doute subsistant en moi, et le
ressentiment en elle –, se peut aussi pour ce que mes continuelles
missions m’appelant hors Paris, Angelina, en mes absences, se sent moins
solitaire à la campagne qu’à la ville, aimant fort ma seigneurie du Chêne
Rogneux, et l’affection dont Gertrude, Zara et mon gentil frère Samson
quotidiennement la confortent.
Quand mon amour s’est déclose en sa première fleur, elle me
parut si forte que je n’ai jamais pensé en arriver à ce prédicament. M’y voici,
cependant. J’en ai de prime immensément pâti jusqu’au jour où le pâtiment
lui-même a cessé, me laissant comme étonné de sa disparition. Encore que la vie
que je mène soit fort éloignée de celle que je m’étais donnée pour but, ou pour
rêve, je me suis accommodé à elle. Cependant, combien que mon âge ait passé
quarante ans, je ne sais si je dois dire encore comme le poète Marot : Je
résigne ce don d’amour, qui est si cher vendu, puisqu’il se peut bien que
sa cherté – j’entends tout à la fois les délices et le dol – en fasse
tout le prix aux yeux des hommes. Je me suis parfois apensé que ma vie serait
morne et resserrée, si mon cœur ne devait plus jamais toquer en mon poitrail
que dans les surprises de l’action, ou les petites licences que l’action paraît
traîner après soi.
La première personne que j’avais appétit à voir en Paris
était mon cher et vieil ami le révérend docteur médecin Fogacer – lequel
avait été, en mes vertes années, mon régent en l’École de médecine de
Montpellier,
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