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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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m’y ayant nourri, comme il aimait à dire, « aux stériles
mamelles d’Aristote ». La raison en était que Fogacer, quoique athéiste et
sodomiste, et par là promis deux fois au bûcher, s’il n’avait été si prudent,
remplissait auprès de Mgr Du Perron l’office de médecin particulier,
et encore que sa principale mission consistât à régler le flux et l’obstruction
des difficiles digestions de l’évêque, il avait l’œil trop aigu et l’oreille
trop dardée pour ne pas faire sa provende de tout ce qui se disait et murmurait
en son entourage.
    Je m’enquis de sa demeure à la Cour où il comptait de
nombreux amis, ayant été (comme moi-même) un des médecins d’Henri Troisième, et
apprenant qu’il avait son logis en la rue de la Monnaie – laquelle est
sise derrière l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois –, je lui dépêchai mon
page Thierry avec un billet quérant de lui qu’il voulût bien me recevoir après
la repue de midi. À faire le vas-y-dire, Thierry mit bien deux heures là
où une demi-heure eût suffi, mais je n’eus pas le cœur à le tancer, tant le
poulet qu’il me rapporta était délectable et fogacérien.
     
    Mi fili [15]
     
    Que si tu me viens visiter sur le coup de trois heures (ma siesta comme celle de mon ancilla formosa [16] étant quasi sacrée) tu me trouveras tout ouïe ou plutôt toute langue, ta
curiosité, je gage, autant que ton amitié, t’amarrant à mon bord. Or, tu le
sais, mi fili, me solliciter pour jaser, c’est piscem natare docere [17] , tant ma constitution m’y
dispose. Accours donc, fils. Tu me trouveras et m’oiras dicenda tacenda
locutus [18] et meshui, comme toujours, ton très
fidèle et affectionné serviteur.
    Fogacer.
     
    Ayant lu ce poulet, je le tendis, riant, à Miroul qui, à son
tour, s’en ébaudit, tant il ressemblait à celui qui l’avait écrit, lequel « sur
le coup de trois heures » nous accueillit en son petit, mais commode,
logis de la rue de la Monnaie, long, mince et gracieux en sa vêture noire, le
bras arachnéen, la gambe interminable, et quant à la face, encore que les
années eussent mis en son cheveu plus de sel que de poivre, juvénile encore par
je ne sais quel air folâtre qui se jouait dans son sourcil relevé
diaboliquement vers les tempes et son lent, connivent et sinueux sourire.
    —  Hami fili ! dit-il, c’est pitié que tu
sois si vaguant et voguant par monts et vaux à courre qui-cy qui-là à faire le
commandement du roi, car cela me robe trop souvent le plaisir d’envisager ta
claire face ! Monsieur de La Surie, serviteur ! Prenez siège, de
grâce !
    — Révérend Docteur médecin, dit La Surie, de grâce
appelez-moi Miroul, puisque vous m’avez sous ce nom connu.
    — Et estimé prou, Miroul, dit Fogacer avec un gracieux
salut. Holà, Jeannette ! Apporte-nous un flacon de ce bon vin de messe que
le sacristain de Monseigneur t’a baillé !
    — Mais est-ce la même Jeannette que j’ai vue chez vous
à Saint-Denis ? dis-je, fort étonné.
    — Point du tout, dit Fogacer, c’est une autre. Le
mauvais des Jeannettes, c’est qu’elles vous doivent quitter, dès qu’elles ont
plus de barbe au menton que leur cotillon n’en peut honnêtement souffrir.
    — Mais n’est-ce pas crève-cœur, dit
M. de La Surie, la face imperscrutable, de se séparer d’une
bonne chambrière ?
    — C’est grand dol, assurément, dit Fogacer en haussant
son sourcil noir, effilé et comme peint au pinceau, mais qu’y peux-je ? Je
n’ai pas fait le monde, lequel, en revanche, m’a fait tel que je suis – et
tel, ajouta-t-il en rejetant la tête en arrière avec un air de défi, je
m’accepte ! Mais assez là-dessus ! Mi fili, j’ai ouï sur toi
d’étranges choses.
    — À savoir ?
    — Que tu fus connivent à la meurtrerie de Saint-Paul
par le Guise.
    — Connivent est trop dire ! Mais je n’ai pas gêné
l’épée du petit duc.
    — On dit aussi que M me  de Saint-Paul,
dont tu avais pourtant sauvé et la vie et les biens, t’a cruellement rebuffé.
    — Vrai.
    — Mais qu’elle a, pressée par toi, rendu Mézières au
roi.
    — Vrai encore !
    — Et qu’enfin, tu lui as enlevé la plus accorte de ses
servantes.
    — Ventre Saint-Antoine ! m’écriai-je, béant,
comment sais-tu cela, Fogacer ? La nuit tombait, quand j’ai avec Louison
atteint Paris, et nul à la Cour ne connaît son advenue céans.
    — L’Église, dit Fogacer

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