Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
Vom Netzwerk:
J’aurais
dû les fouetter plus souvent, ces deux-là, quand ils étaient petits. C’est
comme ça qu’on retient sa leçon d’amour et de dévouement : au bout du
fouet.
    — Horace a encore arrêté de sarcler aujourd’hui, après
une heure, et il dit que demain il n’essaiera peut-être même pas.
    — Eh bien, corrigez-le, mon brave, corrigez-le un bon
coup.
    — J’en serais ravi, monsieur Maury, mais je voulais
d’abord voir ça avec vous car, comme vous le savez, l’administration des
châtiments dans les circonstances présentes risque de provoquer des problèmes
supplémentaires et pour le moins inopportuns.
    — Occupez-vous du châtiment, je m’occupe des
conséquences.
    — Très bien, monsieur. » Et, portant une main à
son chapeau, il s’éclipsa brusquement.
    « Cet imbécile a perdu ce qu’il pouvait avoir de
tripes », marmonna Maury. Puis, comme frappé par un spectacle indécent,
invisible aux yeux de Liberty, qui aurait souillé l’immuable perfection de
l’horizon limpide, il se pétrifia, scrutant le vide comme s’il était en transe,
son visage impassible dominé par ce que la mère de Liberty appelait ses
« yeux lointains », lesquels chez lui préludaient invariablement à
des heures de rumination lugubre dans son bureau ou, pire encore, à un
quadrillage de son domaine, en pleine possession de ce que la famille intimidée
appelait sa « colère virile » pour agresser indifféremment ses gens
et ses proches. Mais cette humeur parut prompte à se dissiper, et une minute
plus tard il invitait poliment, voire cordialement Liberty à se préparer pour
le déjeuner, événement spécial entre tous, puisqu’en ce jour béni Grand-mère
avait décidé, contre l’avis de son mari, de s’aventurer hors de sa chambre de
malade pour prendre son repas avec son dernier petit-fils.
    Deux esclaves ahanants et désespérément inadaptés à cette
tâche, un pour chacun de ses bras frêles, extirpèrent tant bien que mal de son
lit la vieille dame blanche, la portèrent, comme s’ils se débattaient avec un
ballot de petit bois, au bas de l’escalier grinçant et à travers le vestibule
nu jusqu’à la salle à manger, où ils déposèrent sans cérémonie l’infernale
impotente dans son fauteuil roulant rembourré, fait sur mesure. Une fois
installée, elle les congédia d’un geste impatient de ses doigts squelettiques
et s’adressa à l’auditoire : « Je vous jure, jamais je ne
m’habituerai à ce que des mains noires indélicates me touchent là où aucune
dame ne devrait être touchée. » Elle foudroya d’un regard accusateur les
esclaves alignés respectueusement contre le mur, les bras solennellement
croisés dans une pose de déférence patiente.
    « Allons, allons, dit son mari d’un ton apaisant.
    — Oseriez-vous insinuer, monsieur Maury, que j’invente
ces gestes indécents ?
    — Je n’ai pas dit ça, Ida.
    — Je vous sais enclin à ne voir en moi qu’une folle
gâteuse, si diminuée dans ses perceptions qu’elle ne voit plus la différence
entre assistance et agression.
    — Le jour où vous serez folle, madame Maury, je serai
le premier à vous en informer.
    — Et comment le sauriez-vous, vous qui passez votre
temps à faire joujou dans votre précieux refuge comme un ermite débile ?
D’ailleurs, je vous le demande, que nous ont rapporté tous vos projets impies,
hormis des tombes fraîches au cimetière et une masse de nègres
estropiés ? »
    Ignorant la question, Maury se renfonça sur sa chaise et
cria sèchement en direction de la cuisine : « Ditey ! Nous
attendons les pommes de terre !
    — Jonah, dit M me  Maury à l’un des
domestiques de service sans cesser de tripoter ses couverts, toi et les autres,
attendez dehors jusqu’à ce qu’on vous appelle. Je ne supporte pas de manger
sous les yeux de tous ces démons.
    — Vous avez vos nerfs, aujourd’hui ? demanda son
mari. Nous pourrions augmenter la dose de gouttes ce soir.
    — À ce stade, Asa, qu’est-ce que ça change ? Que
je veille ou que je dorme, c’est la même vie maudite que j’endure, la même
mort. Et toi, mon garçon… » Elle fit pivoter son fauteuil dans la
direction de Liberty. « Excuse-moi de ne pas t’appeler par ton nom de
baptême, mais je constate que ma langue refuse absolument de prononcer ce mot.
Tu apportes quelque fraîcheur dans ce monde mité et moisi. Que penses-tu de
notre Redemption Hall ?
    — Sauf votre respect,

Weitere Kostenlose Bücher