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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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finirait par avoir une idée. Et je suis sûr, Goldie, que bientôt
tu arrêteras tes bêtises et que tu seras de retour au champ, à cueillir le
coton aussi vite qu’une machine. »
    Plusieurs enfants s’étaient collés à Liberty dès son arrivée
et s’accrochaient à son pantalon. Il se sentait immobilisé, physiquement et
mentalement.
    « Comment va Bridget ? demanda Maury. C’est elle
que je suis venu voir. »
    La matrone détourna les yeux et désigna sans un mot une
masse sous une couverture miteuse. À côté, deux femmes nues se débattaient de
conserve sur le sol de terre : elles semblaient au dernier stade de
l’accouchement.
    « Morte, hein ?
    — Elle a essayé, Maître, elle a fait de son mieux pour
ne pas vous décevoir, mais ces plaies, c’en était trop pour son petit corps.
    — Eh bien, enterre-la, dans ce cas, et je ne veux pas
que ça te prenne la journée, compris ? Enfouis-la et retourne au travail.
Et d’ici demain, je veux que la moitié au moins de ces misérables fumistes
aient foutu le camp. J’ai plus d’esclaves ici que dans les champs. Venez,
dit-il à Liberty qui détachait délicatement de son pantalon, doigt par doigt,
les mains insistantes des enfants. Si je dois encore avaler une goulée de cet
air irrespirable, c’est moi qui aurai besoin d’une infusion d’écorce. »
    Pataugeant dans la boue, ils remontèrent vers la Grande
Maison dans un silence pensif. Les nuages avaient éclaté en morceaux filandreux
que le léger vent d’ouest dispersait soigneusement. Le ciel est le même où
qu’on aille, songea Liberty. Un sacré réconfort pour traverser la vie.
    Sur la véranda, attendant leur retour, se tenait le
régisseur, Clement C. Malone, un Yankee transplanté qui s’était aventuré
dans le Vieux Sud avant la guerre, en quête d’un travail adapté à ses talents
et son tempérament. Apparemment, il l’avait trouvé.
    « Mon petit-fils, déclara Maury, reconnaissant pour la
première fois, à la stupéfaction de Liberty, leur lien de parenté. Il a fait
tout le chemin depuis l’État de New York. »
    Malone examina Liberty d’un œil fasciné, comme s’il n’avait
jamais vu d’être humain de cet âge ou de ce sexe. « Ah ouais ?
Moi-même, je suis natif de Brattleboro, dans le Vermont. Là-bas, j’étais maître
d’école. » Sa poignée de main évoquait une botte de brindilles dans un
vieux gant.
    « J’y suis passé une fois.
    — Pour affaires ? Par plaisir ?
    — Je crois me souvenir que je fuguais. »
    Le régisseur jeta un regard à Maury et émit un petit rire
sec. « La bougeotte, c’est de famille, visiblement. Et c’est
contagieux : ça a contaminé la plupart des esclaves.
    — Attention ! prévint Maury. Je ne vous paie pas
pour salir mon nom et insulter ma famille.
    — Ni pour rien d’autre, d’ailleurs, répliqua Malone,
baissant les yeux et feignant de chercher dans ses poches quelque chose qui n’y
était pas.
    — Allons, Clement, il me semble que vous êtes nourri,
logé, blanchi.
    — Il existe d’autres besoins.
    — Oui, mais aucun que vous ayez à satisfaire. Comme je
l’ai déjà expliqué, avec beaucoup de persévérance je dois dire, cette
plantation est une entreprise d’intérêt commun. Nous réussirons ensemble ou
nous sombrerons ensemble. Quand j’aurai de l’argent, alors vous aurez de
l’argent. Si tout le monde avait compris ce principe simple dès le début, avait
eu l’esprit d’équipe et fait des efforts, nous ne serions peut-être pas dans
cette triste situation.
    — Sauf votre respect, monsieur, je me permettrai de
suggérer que, compte tenu des événements imprévus et catastrophiques qui nous
accablent, nos efforts n’auraient pas changé grand-chose, nous n’aurions pas
réussi à contenir le déferlement des tuniques bleues. D’ailleurs, ajouta-t-il
en lançant vers Liberty un regard narquois, j’ai l’impression que l’avant-garde
est déjà arrivée.
    — Monsieur Malone, le pays tout entier peut sombrer,
cela m’est égal, mais ici, à Redemption Hall, nous devons rester debout,
compris ? Il est hors de question de sombrer.
    — Allez dire ça aux esclaves. Il y en a encore deux qui
ont décampé ce matin.
    — Qui ça ?
    — Moses et Ella.
    — Les perfides salopards ! Enfin, qu’ils partent !
Je ne veux garder autour de moi que les fidèles. Au bon vieux temps des
traqueurs de nègres, on les aurait crucifiés et pendus au même arbre.

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