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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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en fixant d’un air sombre son
reflet dans l’assiette vide. Et nous non plus.
    — Certes, nous la considérions déjà comme morte depuis
longtemps, mais la nouvelle que cette mort était devenue une réalité a été un
terrible choc.
    — Nous avons fait une erreur avec elle, intervint Maury
d’un ton inhabituellement humble.
    — Nous avons fait une erreur avec tous nos enfants,
répliqua-t-elle sèchement. Mais c’est toujours comme ça. Et qu’est-ce qu’on
peut y faire, maintenant ? Cinq ont déjà disparu, et le sixième, c’est
tout comme ! Il est parti courir la gloire et la fortune, et une vie de
rêve qui n’a jamais existé, ni pour lui ni pour personne. Un rêve puéril et
destructeur, rien de plus. Un rêve voué à l’échec, comme cette famille a
échoué. À présent, c’est notre tour de disparaître, et franchement je m’en
réjouis. J’ai hâte d’y être. Le feu et la glace de l’enfer ne doivent pas être
tellement pires que ce que j’ai eu le privilège d’endurer, une fois enrôlée de
force dans ce clan de dégénérés.
    — Arrêtez vos bêtises, et tout de suite ! tonna
Maury. Vous êtes fatiguée, vous avez faim, et vous ne savez plus ce que vous
dites.
    — Mais ce garçon, il sait, lui. Il comprend. Je le vois
dans ses yeux. » Elle tendit la main pour tapoter celle de Liberty.
« Je suis si contente que tu aies pu nous rendre visite. Tu pourras dire
aux autres ce qu’il est advenu de nous. Le monde a explosé, et il a entraîné
avec lui Ida et Asa. Dis-leur. Voilà ce que je veux qu’ils retiennent. »
    En entendant un bruit de pas, aussi lourd et arythmique que
si des briques étaient jetées l’une après l’autre sur le plancher, les convives
se tournèrent en chœur vers une femme vénérable, vêtue d’une robe multicolore
et portant un énorme saladier ébréché plein de légumes fumants. Son nez déformé
avait dû être fracturé dans un passé lointain et jamais correctement soigné, et
son oreille gauche se réduisait à un nœud de cartilage tordu plaqué contre son
crâne grisonnant et presque chauve.
    « Au nom de Jésus martyr, qu’est-ce que c’est que
ça ? s’écria M me  Maury d’une voix indignée en examinant le
plat posé sur la table. Ce ne sont pas des pommes de terre, ce sont de
misérables navets !
    — Y a plus de patates, répondit Ditey en se tordant les
mains et en les essuyant sur sa robe. C’est tout ce qu’y a.
    — Hier, il y avait des pommes de terre, insista M me  Maury
en piquant un navet sur sa fourchette. Où est-ce qu’elles sont passées ?
    — Elles ont toutes été bouffées, j’imagine.
    — Oui, et je suis sûre que c’est vous, bande d’ingrats
voleurs, qui vous êtes régalés avec ! Et nous, on doit se contenter de
cette saleté tout juste bonne pour les cochons. Et ils ne sont même pas cuits
correctement. Ils sont durs comme des pierres.
    — J’ai fait de mon mieux, Maîtresse.
    — Et le mieux est l’ennemi du bien. Et tu ne fais
jamais assez bien, espèce de misérable salope. » Grand-mère brandit son
couteau comme si elle s’apprêtait à découper une volaille. « Donne ta
main. » Et d’un seul geste vif elle lui ouvrit la paume jusqu’à l’os.
L’instant d’après, dans un cri sauvage, Ditey se jeta sur elle, le fauteuil se
renversa, les deux femmes basculèrent sur le tapis, et les mains de Ditey, dont
l’une laissait jaillir un déluge de sang, se refermèrent comme un collier de
fer sur le cou maigre de sa maîtresse ; Liberty, abasourdi, s’était à
peine levé de son siège que Grand-père, avec une célérité incroyable, contourna
la table au pas de charge, empoigna une chaise et l’abattit sur la tête de
Ditey dans une gerbe d’éclats de bois et de crâne. Puis, dégageant la
cuisinière inconsciente du corps de sa femme, il s’agenouilla auprès de
celle-ci et essuya le sang sur son cou et son visage avec la serviette que
Liberty, faute de savoir quoi faire, lui tendait. « Allez chercher de
l’eau », ordonna-t-il.
    Dans la cuisine, que les autres serviteurs avaient
promptement désertée, Liberty ne trouva qu’une fillette affolée tapie sous la
table. « Qu’est-ce qui va se passer ? criait-elle, hystérique.
Qu’est-ce qui va se passer ?
    — Je ne sais pas, répondit-il calmement en saisissant
sur l’évier un seau à demi rempli d’eau. Tu ferais mieux de filer. »
    Dans la salle à manger, Maury avait réussi à adosser

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