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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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le trajet court, et je
ne tolérerai pas d’autre objection, c’est compris ?
    — Apportez-moi mes pistolets.
    — Je n’ai pas l’intention de discuter avec vous, Ida.
    — Moi non plus. » Elle tendit la main. « Mes
pistolets.
    — Vous m’éprouvez, Ida, vous m’éprouvez
terriblement. » Il se dirigea vers le secrétaire, et sortit du premier
tiroir un coffret d’acajou rouge verni qu’il porta docilement jusqu’au lit. Sa
femme l’ouvrit, en retira l’un des deux pistolets en argent et le brandit en
disant, sans s’adresser à personne : « Mon père a tué un homme en
duel avec ça. Ils sont jolis, n’est-ce pas ? » Elle disposa les
pistolets sur la couverture, l’un à sa droite l’autre à sa gauche, à portée de
main. « Aucun abolitionniste de malheur n’oserait lever le petit doigt
contre une vieille femme malade. » Et puis, remarquant chez son mari une
ombre de détresse inhabituelle, elle s’adoucit légèrement. « Je suis
désolée, Asa, je ne peux vraiment pas partir avec vous, je suis fatiguée, si
fatiguée. Quelle bénédiction ce sera d’accéder enfin à ce lieu “où les méchants
cessent de nuire et les affligés de souffrir”.
    — Vous ne pesez pas plus qu’un enfant. Je pourrais très
bien vous soulever de force et vous porter jusqu’au chariot.
    — Ne faites pas ça. » Une main papillonnante
effleura l’un des pistolets. « Je vous en prie, ne faites pas ça.
    — J’en ai assez de me battre avec toi, femme. Cinquante
ans de douleur, d’inquiétude et de lutte répudiés sur un caprice
ridicule !
    — De la confiture de mûre, murmura-t-elle. Je donnerais
cher pour un peu de confiture de mûre.
    — Ça suffit ! » s’écria Maury, qui ajouta
sèchement en se tournant vers Liberty : « Dites adieu à votre
grand-mère. Je vous retrouve dehors.
    — Viens, fit-elle en tendant ses bras flétris.
Approche. » Liberty se pencha, et il fut pris dans une étreinte d’une
férocité inattendue qui l’entraînait inexorablement vers ce visage antique et
ridé. Dans cette proximité intime, elle sentait le camphre, la poudre et les
dents gâtées. Elle lui souffla à l’oreille : « Roxana a toujours été
ma préférée », et déposa un baiser délicat sur sa joue.
    « Adieu, Grand-mère, répondit-il en serrant contre lui
ce tas d’os desséchés. Vous savez, nous autres les Yankees, nous ne sommes pas
des mangeurs d’enfants et des démons lubriques comme on le prétend.
    — Oui, oui, je sais, je ne m’inquiète pas. Mais toi,
prends bien soin d’Asa. Il n’est pas aussi jeune qu’il le croit. »
    Sa dernière vision d’elle fut celle d’une tête désincarnée
sur un oreiller, aux yeux sombres furieusement embrasés, comme dévorés à jamais
par les flammes infernales d’un feu noir.
    Devant la maison, le chariot attendait. Monday, un vieux
monsieur d’une compétence discutable mais d’une loyauté de fer, du moins à en
croire Maury, était perché sur le siège, l’air inquiet, les rênes à la main,
Tempie recroquevillée comme un chat sauvage sur une paillasse à l’arrière dans
un chaos de malles, de valises, de caisses, de piles de livres, de crânes, de
cages et de dizaines d’épais manuscrits enveloppés dans du linge. Monté sur un
superbe étalon bai, Maury tenait par la bride une seconde monture beaucoup
moins imposante. « La dernière jument valide du comté, claironna-t-il. Je
l’avais cachée dans le marais en prévision d’une telle urgence.
    — Je crois que je devrais rester, dit Liberty. Pour
veiller sur Grand-mère jusqu’à l’arrivée des gars, et peut-être demander au
chirurgien de l’examiner.
    — Hors de question, mon garçon. Vous savez aussi bien
que moi que rien de fâcheux ne peut lui arriver ; il n’y a pas de raison
de s’inquiéter. C’est de vous que j’ai besoin. Notre projet demeure cruellement
inachevé. Vous êtes devenu un rouage crucial de l’engrenage du progrès
scientifique, et franchement, je suis bien placé pour le savoir, toute
connaissance digne de ce nom exige des sacrifices. Allez, montez sur ce cheval.
    — Je crois que je vais rester. »
    À contrecœur, Maury dégaina son revolver et le pointa sur le
visage de son petit-fils. « Montez.
    — Tout le monde dans cette famille a l’air d’avoir la
gâchette facile, remarqua Liberty pince-sans-rire en se hissant sur la selle.
    — C’est pour se protéger, ricana Maury, pour une

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