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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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insatiable.
    « Enfin, capitaine, vous n’êtes pas sans savoir que
certains traits bénéfiques tendent à se diluer sans retour quand on les plonge
dans des eaux étrangères.
    — À vrai dire, je n’y avais jamais réfléchi.
    — C’est un sujet d’une profondeur inépuisable, que je
me ferai un plaisir de développer.
    — Pourquoi ne pas nous consacrer d’abord aux plaisirs
de ce banquet phénoménal ? suggéra fébrilement Liberty, en un écho gênant
de sa tante Aroline. Nous avons… combien ? trois jours au moins à passer
sur ce navire, ce qui nous laisse amplement le temps d’explorer les complexités
de toutes les sciences majeures, de l’alchimie à la phrénologie.
    — Brillante idée ! approuva le capitaine, qui leva
de nouveau son verre en balayant la table d’un regard canaille. « Je porte
donc un toast à l’Union, éternelle et indissoluble. »
    Solennellement, Maury reposa son verre de cristal.
« Même pas pour plaisanter, monsieur, même pas pour plaisanter.
    — Mais ne conviendrez-vous pas, monsieur Maury, que la
vie serait insupportablement lugubre si nous ne nous laissions pas aller de
temps en temps à un peu de fantaisie ?
    — Les temps que nous vivons ne prêtent pas à rire.
    — C’est exact. Mais j’ai découvert, au fil d’une
existence exceptionnellement mouvementée, que pour conserver son équilibre
mental il est préférable d’apprendre à apprécier la fêlure des choses, les
juxtapositions incongrues, la cocasserie et le désordre qui se nichent au cœur
du monde, bref, monsieur Maury, d’apprendre à en rire. Je vais vous donner un
exemple pertinent : en 61, quand j’ai mis mon navire au service de cette
Confédération visiblement maudite, alors que j’étais plus maigre, plus bête et
plus arrogant que je ne suis aujourd’hui, j’ai reçu le titre officiel de
corsaire, sous la forme d’une lettre de marque signée par le vieux Jefferson
Davis en personne. Lors de notre première expédition, à cinquante milles à
l’est de Nantucket, nous avons croisé par hasard le USS Giza, un joli
petit trois-mâts qui, au premier coup de canon sur sa proue, a fort
judicieusement montré ses couleurs. C’était notre première prise, et dans notre
surexcitation nous avons grimpé à bord et tenté d’ouvrir la cargaison à mains
nues. Et savez-vous ce que nous avons trouvé dans ces précieux tonneaux ?
Du parfum, mon bon monsieur, un véritable lac d’eau de Cologne bas de gamme que
l’équipage s’est mis à engloutir comme du rhum avant de s’apercevoir de son
erreur. L’odeur m’est restée dans les narines pendant des semaines. Mais j’aime
autant vous dire que ce fiasco m’a bien fait rire et que, d’ailleurs, j’en ai
tiré des bénéfices princiers. Il y a toujours un marché pour les produits de
luxe et les articles pour dames, même dans la fumée et les cris, n’est-ce pas,
messieurs ? N’est-ce pas, madame ? ajouta-t-il en effleurant
gracieusement sa casquette.
    — Je ne vois pas pourquoi l’on devrait s’interdire les
modestes réconforts que le hasard peut nous fournir, quelles que soient les
circonstances », répondit M me  Fripp, qui comme son mari
avait ostensiblement ignoré la conversation, préférant attaquer de front les forteresses
alimentaires qui s’élevaient devant eux. Elle rechargeait déjà son assiette
pour une nouvelle offensive.
    « Mais de telles gratifications, remarqua Wallace, ne
sont disponibles que s’il y a des gens comme moi prêts à risquer leur vie et
leur santé pour s’en saisir.
    — Du vent, tout ça ! ricana un Maury sarcastique.
Vous avez l’impudence de présenter votre flibusterie éhontée comme un sacrifice
héroïque, alors qu’en réalité vous n’agissez que pour votre profit personnel.
Je n’imagine pas un opportuniste rouquin comme vous montrer le moindre intérêt
pour la Cause s’il n’avait pas la perspective de se remplir les poches.
    — Au moins, je m’engage à sombrer avec mon navire.
    — Si vous insinuez, monsieur, que je serais un lâche…
    — Non, pas du tout. Je suggère simplement que votre
dévouement à votre drapeau bien-aimé est peut-être une motivation plus mince
que vous ne l’imaginez, plus mince que l’appât du gain, par exemple.
    — Pour l’heure, capitaine Wallace, je suis lancé dans
une recherche scientifique cruciale, indissociable des idéaux sudistes, et qui
ne saurait être interrompue. En outre, je le crains,

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