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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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ma constitution me rend
absolument incapable de survivre à un éventuel avenir yankee.
    — Pourquoi ? interrogea Wallace. Est-ce qu’ils
vont nous forcer à mettre des chaussures et à manger avec une fourchette ?
    — Si Lincoln l’emporte, capitaine Wallace, si ses
commis et ses boutiquiers triomphent, nous ne serons plus que des soldats de plomb
dans une ère de ferraille, nous vivrons dans des maisons de ferraille, nous
aurons des familles de ferraille. Nous serons crucifiés sur les aiguilles de
l’horloge et ressuscités sous forme de machines. Le monde sera un lieu sans
passion, dépourvu d’honneur, de gloire et, par-dessus tout, de romantisme. Et
nous serons les serfs de l’État, de l’Église et de l’Usine, tous les jours
innombrables et anonymes de notre vie jouée d’avance.
    — Tout le pays ne serait donc plus qu’une grande
plantation ? remarqua Wallace, qui examinait ce passager susceptible avec
un intérêt accru. L’esclavage, mais sans l’amour, c’est ça ?
    — Asticotez-moi autant que vous voudrez, capitaine,
mais écoutez-moi bien : le dollar est forgé d’une substance plus
indestructible que tous les métaux. Les chaînes peuvent prendre bien des
formes. Et voilà pourquoi nous combattons, monsieur : pour la liberté, et
seulement pour la liberté. »
    Wallace se renfonça sur sa chaise avec un plissement d’yeux
nautique, comme s’il essayait de distinguer des repères à l’horizon.
« Vous me stupéfiez, monsieur Maury. Je suis étonné que vous ayez réussi à
vivre si longtemps en apprenant si peu. Soumettons la question à notre jeune
ami. À la clarté honnête d’un regard ingénu. Dites-moi, monsieur Fish, quel est
au juste, selon vous, le sens de ce cauchemar que rêve actuellement votre
pays ?
    — Je préfère garder pour moi mon avis sur la question,
si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
    — C’est un Yankee, s’étrangla Maury. Qu’est-ce qu’on
peut attendre de lui ? Ils mâchonnent tous les mêmes idées, encore et
encore. Elles sont fabriquées à la demande par une bande de Juifs aveugles dans
une tanière sans fenêtres en plein cœur flétri de New York.
    — Délicieux, déclara Wallace. Je vois que vos idées à
vous tendent à être partiales et apocryphes.
    — Mais j’ai entendu exactement la même histoire,
intervint M. Fripp en posant l’os de jambon qu’il rongeait. Mais dans ma
version, les Juifs étaient également noirs.
    — Et c’étaient eux, les armateurs des navires négriers,
confirma M me  Fripp. Peu leur importe quels services ils
procurent, et à qui, tant qu’on leur graisse la patte.
    — Et à présent, reprit Maury, ils nous concoctent cet
avenir que je décrivais à l’instant.
    — Bien, annonça Liberty d’un ton étonnamment impérieux
tout en s’essuyant les lèvres sur une serviette qui, quoique fraîchement lavée,
avait un étrange goût de sel, ces spéculations enthousiastes sur les questions
d’actualité tendent à avoir sur mon cerveau un effet soporifique, et,
franchement, ce fut une longue et éprouvante journée. Sur ce, capitaine
Wallace, je vous remercie donc de votre généreuse hospitalité. Monsieur Fripp,
madame Fripp.
    — Si ce garçon se retire, je vais devoir l’imiter,
déclara Maury. Il a toujours eu du mal à dormir seul, depuis qu’il est bébé.
    — Mais nous n’avons pas pris de café, protesta le
capitaine. Ni de dessert.
    — Je me réjouis d’avance de leur faire honneur au petit
déjeuner, répondit Maury en se levant de sa chaise.
    — Mais il y a de la tarte aux pommes, cria Wallace à
ses hôtes en partance. De la tarte au citron, de la tarte aux pêches, de la
tarte aux airelles, des noix, des dattes, des figues, des raisins secs, des
oranges, des bananes… »
    Le matin arriva, dans un flot de chaleur exagérée et de
lumière brutale et exhaustive qui rendait toute contemplation prolongée, fût-ce
d’un objet proche et ombragé, une tâche d’avance épuisante. La journée semblait
se réduire à une succession d’heures que rien ni personne à bord ne pouvait
correctement remplir. Comme s’il cuvait encore la convivialité étincelante et
l’alcoolémie galopante de la veille, le capitaine Wallace, ou l’ombre de
lui-même, passa son quart drapé dans une mélancolie pratiquement inaccessible à
laquelle l’arrachait momentanément la vision, à l’horizon, d’un mât de hune ou
d’un plumet de fumée noire, dont aucun, au

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