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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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encore
autant après toutes ces années, commenta Thatcher.
    — C’est quoi, un gerbeux ? » demanda Liberty,
imaginant aussitôt un croisement féroce entre un puma à crocs jaunes et un loup
enragé.
    La cuiller de Potter, occupée à charrier des mottes de soupe
via le portail de sa bouche encadré de rideaux de poils, s’interrompit à
mi-course et, dardant un œil injecté de sang sur le garçon curieux, il
répliqua : « Un gerbeux, c’est une tête de nœud de lèche-cul au teint
jaunâtre et aux dents pointues, avec un crâne de pastèque et un cerveau flétri,
et qui, dans ses tentatives absurdes de passer pour un homme digne de ce nom,
se trahit grossièrement par le bouquet bestial de son musc.
    — Je vois que tu as beaucoup réfléchi à la question,
dit Thatcher pince-sans-rire.
    — Sérieusement, Potter. » L’attention de Roxana
était comme toujours fixée sur son fils, hypnotisé. « Moi-même, je n’ai
rien contre un peu de vulgarité rustique, mais est-ce vraiment la distraction
idéale pour un dîner en famille ? »
    Potter, presque le nez dans son bol, engloutissait sa soupe
avec un abandon renouvelé. « Un gerbeux, c’est un gerbeux. » Il
haussa les épaules. « On ne peut pas les faire plus jolis qu’ils ne sont.
    — Ce n’est pas ce que je te demandais. Mais peut-être
pourrait-on finir de manger avant d’avoir droit à un récit détaillé.
    — Allons, Roxie, ma chérie, ne m’oblige pas à rengainer
tout de suite. J’ai une anecdote savoureuse à raconter. »
    Se découpant la moitié du rôti, le vagabond dissolu
entreprit alors, entre deux mastications bruyantes et postillonnantes et de
longues rasades de cidre froid, de relater la dernière atrocité en date commise
sur le Territoire du Kansas : l’exécution scandaleuse d’un innocent
abolitionniste nommé R. P. Brown par une bande de maraudeurs, de brigands
des frontières, qui se baptisaient complaisamment les Kickapoo Rangers. La
veille, apparemment, un misérable gerbeux, un certain Cook, avait été retrouvé
brutalement assassiné par une main inconnue. Enflammés par la boisson –
dûment rectifiée – et d’insatiables rêves de vengeance, ces joyeux drilles
de Rangers avaient kidnappé le premier malheureux qui passait par là, en
l’occurrence le pauvre Brown, qui fut traîné dans l’épicerie Dawson, à
Leavenworth, en attendant d’être jugé pour le meurtre de Cook. Tic-tac, faisait
l’horloge au mur, tic-tac. Les nerfs des ravisseurs, déjà mis à rude épreuve,
commencèrent, dans cette pièce confinée, oppressante, glaciale, à s’effilocher
pour de bon.
    « Arrête de me zyeuter comme ça avec ton œil en
goguette.
    — Qu’est-ce t’as à me donner des ordres, espèce de tas
de graisse ? Qui c’est qui a réquisitionné ce cheval gris pour que
maintenant tu parades dessus comme un prince ?
    — Encore un mot, et je vais te tordre ce bandana autour
du cou à t’en faire sortir les mirettes de ta sale gueule », etcetera,
etcetera, jusqu’à ce que leur attention, inévitablement, se porte sur le
prisonnier ligoté.
    « Messieurs, messieurs, écoutez-moi. Pourquoi juger un
coupable ? Est-ce que Cook a eu droit à un procès ? Est-ce qu’une
seule de ces têtes de courge de la côte Est a jamais ne serait-ce qu’approché
un tribunal ?
    — Mais il faut bien qu’on le juge, remarqua quelqu’un,
pour décider comment on va le tuer.
    — Y a besoin de discuter pour tuer un putois ?
répliqua un autre en passant un pouce crasseux sur le côté brillant de sa
hachette. On ne fait pas de faveurs à un bâtard. » Se levant presque à
contrecœur, il leva la hachette et, d’un seul coup puissant, planta la lame
dans la tête recroquevillée de Brown.
    Tel un public de bal, les Rangers regardèrent l’homme
ensanglanté se tordre de douleur sur le sol de sciure. Au bout d’un moment,
quelqu’un dit : « M’est avis qu’on d’vrait l’ram’ner chez lui. »
Et c’est ainsi que le corps gémissant fut jeté sans ménagement dans un chariot
et que les Rangers, se réchauffant d’une dame-jeanne de Monongahela millésimé,
parcoururent quinze kilomètres de gel dans le pire hiver jamais recensé, un
hiver où les hommes se déplaçaient drapés de peaux de bison, les bottes
enveloppées de toile de jute, et où les dindons sauvages étaient si engourdis
par le froid qu’on pouvait les tirer au pistolet comme au stand de foire.
    « J’ai très

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