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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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va-et-vient des flammes dans
les restes carbonisés de ce qui avait été la ferme Goodin.
    « Eh ben, dit Ike le Velu de la voix traînante et
blasée d’un homme qui s’était déjà trouvé au pied du mur et qui n’attendait pas
autre chose, m’est avis que ça va être notre tour.
    — Soyez sans crainte, mes braves », promit le
capitaine Gracie ; de telles promesses étaient l’un des éléments dominants
de son style de commandement, et ses hommes depuis longtemps n’y percevaient
plus que le vide d’un langage qui n’exigeait d’eux ni obéissance ni même
respect. « Ils vont avoir droit à un accueil plus chaud qu’ils n’en ont
jamais connu.
    — Je n’ai pas peur, mon capitaine », pépia le
P’tit Johnny Phelps, formule qu’il répétait en diverses variantes depuis le
coucher du soleil, plusieurs longues heures auparavant.
    Portant un doigt souillé à sa narine et se penchant
légèrement en avant, Ike le Velu expulsa abruptement un lourd projectile de
mucus qui frappa ou peut-être frôla la pointe de la botte de Potter. Dans le
noir, difficile d’en être sûr, et Potter n’allait certainement pas la toucher
pour vérifier.
    « ’Scuse-moi, camarade, marmonna Ike dans sa barbe
tachée de tabac. C’est pas impossible que j’aie un tantinet mal évalué le vent.
    — J’suis pas ton camarade, bordel, gronda Potter en
frottant sa botte dans l’herbe, et la prochaine fois que tu me fais un truc
pareil je vais t’éparpiller la couenne aux quatre vents.
    — Une remarque pareille, ça donne à penser. C’est à se
demander ce que tu fous ici.
    — J’imagine que je suis ici pour les mêmes raisons que
tout le monde, et si, pour sauver ce pays, je dois aussi sauver un salopard à
foie jaune comme toi, ainsi soit-il.
    — Messieurs, les reprit le capitaine Gracie, gardez
votre fiel pour l’ennemi. »
    Alors, sobrement et en file indienne, serrant dans chacun de
leurs poings crispés des persuadeurs de diverses marques et calibres, les
Régulateurs se replièrent dans la cabane solitaire, dont ils verrouillèrent la
porte de bois avant de la renforcer par une poutre.
    La pièce unique était dominée, avec une implacable autorité
organique, par une souche d’arbre au diamètre d’une roue de chariot, et d’une
ampleur si inflexible que la cabane avait été tout simplement bâtie autour
d’elle : ses racines noueuses, d’une complexité séculaire, dépassaient du
sol de terre battue tels les muscles pétrifiés d’un géant, et sa surface aux
anneaux circulaires, rabotée et poncée, constituait une table parfaite, un peu
basse mais d’un équilibre immuable, et supportait une demi-douzaine d’assiettes
en fer-blanc clouées dans le bois pour éviter les vols, ainsi que deux bouts de
chandelle fumants fichés selon un angle précaire dans leur propre suif.
    Dans un coin, sur un tas de paille, gisait le maître de la
ferme que les Régulateurs étaient venus contribuer à défendre ce soir. On le
voyait frissonner sous une toile de tente crasseuse et en lambeaux. Il
s’appelait E. F. G. Conklin et souffrait depuis plus d’un mois d’une
« tremblante » qui semblait résister à tous les soins. Même à la
lueur chaude des bougies, son visage possédait une raideur végétative qui
évoquait des tiges de champignons, et les nombreux poils de sa barbe noire
étaient plantés dans sa chair cireuse comme des fils de fer disposés au hasard.
Ses lèvres, enflées et gercées, s’écartèrent légèrement pour laisser échapper
un râle de syllabes. « Oui, murmura sa femme Kate, ils arrivent. »
Les yeux bitumineux de Conklin demeurèrent rivés au plafond. À son chevet, Kate
occupait la seule chaise intacte, bruyamment tétée par un nourrisson grognon
atteint de coliques et enveloppé dans un torchon ; une carabine Sharps,
toute neuve et brillante, était posée sur ses genoux, à portée de main. Elle et
son pauvre mari, deux « chrétiens en armes » venus de New Haven, dans
le lointain Connecticut, avaient enduré les intermédiaires sans scrupules, les
essieux cassés, les bœufs malades, les bourbiers, les vendettas familiales, les
enfants perdus, les larcins, la disette, les insolations, les serpents, les
risques de noyade et autres menues contrariétés de la route des pionniers pour
la promesse d’une bonne terre à un dollar et vingt-cinq cents l’acre, d’un
nouveau départ garanti à chaque aurore par l’ascension du soleil

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