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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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d’Amérique, et
la perspective d’expédier un maximum de Misériens impies vers les terres
heureuses de Canaan.
    « De toute façon, il en a plus pour longtemps, remarqua
M me  Conklin, sans s’adresser à personne.
    — Ces ruffians non plus, répondit le P’tit Johnny Phelps,
qui se mit soudain à danser d’un pied sur l’autre comme un insecte.
    — Je te préviens, mon gars, intervint le capitaine
Gracie. Si tu as encore besoin de pisser, prends une timbale ou laisse couler
dans ta culotte, parce que cette porte est bouchée et qu’elle restera bouchée
jusqu’à nouvel ordre. » Malgré la chaleur de l’été déclinant, il arborait
son plus bel habit noir, comme s’il se disposait à officier à un mariage ou un
enterrement.
    Les Régulateurs avaient pris position devant les diverses
meurtrières percées à hauteur d’épaule dans l’épaisseur des murs de rondins,
prêts à tirer, et, avec une impatience nerveuse, ils scrutaient, au bout du
canon de leur arme, la nuit périlleuse, l’œil humide de la lune.
    Zillah, la fille des Conklin, une gamine de dix ans
solennelle et pieds nus, vêtue d’une tunique d’homme sale qui descendait avec
une lourde ampleur bien au-dessous de ses genoux noircis, n’avait pas ouvert la
bouche, ni même entériné la présence de cet étrange groupe de soudards
malodorants qui infestaient sa maison depuis de longues heures. Les bras
croisés derrière le dos, elle s’appuyait toute raide, au garde-à-vous, comme
attachée à un mât, contre les briques froides de la cheminée, la magie éphémère
du toucher lui conférant la solidité inébranlable de la pierre brute.
    Un gémissement prolongé et bovin émana de sous la toile,
dont le tremblement s’était considérablement accéléré.
    « Hé, fillette, dit Potter avec toute la gentillesse
possible – malgré le silence maussade que l’enfant avait opposé à ses
précédentes apostrophes –, tu ne veux pas apporter un peu d’eau à ton
papa ? Ça serait gentil. »
    La gamine le toisa : son imitation du mépris adulte
était criante de vérité. Puis, après un silence plein de défi, elle parla
enfin. « C’est pas mon papa. »
    M me  Conklin renvoya à Potter son regard
interrogateur.
    « Bien sûr que si, insista-t-il.
    — Non ! affirma sèchement Zillah, ponctuant ce mot
d’une torsion de tête.
    — Alors comment ça se fait que tu te retrouves cloîtrée
dans ce réduit avec un parfait inconnu en guise de père ? »
    Potter vit toute certitude déserter comme un envol de merles
ses pupilles dilatées.
    M me  Conklin arracha de son téton le bébé qui
se tortillait et se couvrit nonchalamment le sein. « C’est le patron qui
lui a appris à faire ça. Y a trop de fouineurs venus de nulle part qui grattent
à la porte et qui fourrent leur museau dans des affaires qui sont pas leurs
affaires. »
    Son mari se retourna sur la paille : le raclement
pénible de son souffle semblait mendier un lubrifiant.
    « C’est bon », marmonna Potter, visiblement
irrité. Il se pencha vers le seau et y emplit d’eau une timbale qu’il apporta
précautionneusement au malheureux : relevant la tête moite de Conklin, il
versa le contenu dans la bouche béante. C’était comme arroser un trou dans une
terre desséchée. Bientôt, le tremblement s’apaisa un peu. L’épouse observait
sans commentaire, ses lèvres réduites par des années de souci et de crispation
inconsciente à un simple pli sévère dans la chair jaunâtre au-dessus de son
menton, son expression aussi indéchiffrable que la face érodée d’une roche.
    Osant à peine bouger de leur poste, les Régulateurs avaient
atteint un tel degré de vigilance que l’obscurité menaçante du dehors semblait
bouger et muer au moindre cillement de paupières, adoptant au gré du guetteur
n’importe quelle forme pour n’importe quelle durée ; le malaise produit
par ce phénomène n’était allégé ce soir-là que par la puissance inlassable
d’une pleine lune irréelle.
    « J’vous jure, balbutia Harry Spelvins, c’est à croire
qu’il y a de la neige toute fraîche sur la terre.
    — De fait, remarqua le capitaine Gracie, la lune paraît
sensiblement plus grosse ici que dans mon Back Bay natal.
    — Et pourquoi ça, mon capitaine ? demanda le P’tit
Johnny Phelps.
    — Parce que ici on est plus près de Dieu »,
rétorqua sèchement M me  Conklin.
    Le capitaine s’inclina galamment vers elle.

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